La 2e saison de Caïn démarre ce soir sur France 2 : pour en finir avec l’angélisme des handicapés

Publié le 21 mars 2014 par Valérie Di Chiappari

Porter le nom du premier meurtrier de l’humanité, Caïn et circuler en fauteuil roulant, voilà de quoi donner d’emblée à la série policière, diffusée ce soir en prime-time sur France 2, une mission, en plus de celle de divertir : faire réfléchir.

Les trois millions de téléspectateurs accros à la première saison attendaient sans doute avec envie de voir le capitaine Fred Caïn reprendre du service. Sans confesser le contenu de ces huit nouveaux épisodes, dans Caïn saison 2, réalisée par Bertrand Arthuys et Benoît d’Aubert, il y a des Judas, des serial killers, des Marie-Madeleine, des psychopathes, des Dieux et des bonnes sœurs. Les intrigues sont plus ciselées malgré quelques incohérences de scénario et les personnages secondaires plus fouillés. Dans cette saison tournée l’été dernier, la ville, Marseille, a retrouvé sa luminosité.

Les autres vont faire une découverte. Mais ils ne pourront pas juger de sa transformation et voir comment Caïn, alias Bruno Debrandt, prend encore plus corps dans ce nouvel opus. Pour l’esprit, il en avait déjà à revendre, du genre humour corrosif : « Une mise à pied pour moi ? Ça relève du miracle ! »

Le (gentil) handicapé révélé dans sa complexité

Si dans la première saison, la paraplégie du personnage principal servait surtout à questionner le pouvoir et l’impuissance de chacun, là elle devient acte politique. Salutaire fiction qui questionne l’individu handicapé et sa représentation. L’œil sort de la tombe des préjugés et reste fixé sur le petit écran. Au rythme de deux épisodes, chaque vendredi, jusqu’au 11 avril, voici crucifié l’angélisme qui voudrait que le handicapé soit gentil.

Chaque minorité porte sa croix. C’est bien connu – et surtout rassurant – l’homosexuel est maniéré, l’immigré fraudeur, le jeune de la cité délinquant, le noir bien monté, le pauvre assisté et souvent femme varie. Caïn n’est pas gentil. C’est un cynique, un séducteur, un blessé, un sensible, un menteur, toujours borderline. Une complexité nous est révélée et un miroir tendu vers nos certitudes et nos croyances, celles qui nous poussent à ranger les autres dans des cases, à leur coller une étiquette.

La subtilité pour dire le handicap

Malaval et DebrandtCertains téléspectateurs, handicapés dans la “vraie vie”, trouveront sans doute à redire sur l’adéquation entre réalité et fiction. La seconde se nourrit de la première – sur le tournage Bruno Debrandt (à droite) a un coach en fauteuil, Fabrice Malaval (Lire son portrait) -, mais pour mieux la révéler. Elle permet à un personnage de porter la réflexion sur ce que signifie d’avoir été un jour valide et le lendemain handicapé. De devoir se reconstruire, en restant soi-même, tout en devenant un autre. De ne plus pouvoir se regarder dans les yeux de l’être aimé sans y sentir comme un regret de la vie d’avant. De vouloir toujours en faire plus pour montrer que l’on existe et pas à moitié.

Caïn, au lit avec sa femme, chute en prenant son élan pour se retrouver sur elle et non plus l’inverse. Il ne peut accéder à toutes les scènes de crime et le voici dépendant de son lieutenant. La force de la série réside dans l’approche subtile de toutes ces situations, via sa mise en scène et ses dialogues.

La fiction pour révéler la réalité

Quand la fiction veut montrer des vérités, elle ne peut les livrer à l’état brut. Elle doit faire œuvre. Audiovisuelle ici. Très récemment, littéraire. En effet, ce principe vient d’être clairement remis en avant, suite à la polémique déclenchée par l’enquête du Nouvel Observateur après la parution du roman Pour en finir avec Eddy Bellegueule, succès littéraire de la rentrée de janvier. Édouard Louis, son auteur, raconte son enfance homosexuelle dans un milieu très défavorisé et violent. Le Nouvel Obs lui reproche un racisme de classe. Il se défend.

« (…) les vérités que j’ai essayé de mettre à jour, je n’ai pu les mettre à jour que par le travail littéraire, stylistique, formel, un travail sur la langue, sur la ponctuation, etc. qui déplace les perceptions et tente de montrer ce qu’on ne voit pas, de faire entendre les voix que l’on n’entend pas, des manières de parler que l’on ne connaît pas. (…) », explique Édouard Louis, dans une interview publiée la semaine dernière par Les Inrocks.

Ce travail d’écriture, il est là aussi dans Caïn. Ce travail qui permet d’appréhender la réalité grâce à la fiction et de lui donner une universalité. Non pas que Caïn concentre à lui seul le vécu de tous les handicapés, mais il permet de montrer ce que l’on ne voit pas forcément au quotidien.

La série impliquée dans des sujets de société

Caïn aurait pu s’arrêter là. Mais non content d’inscrire une différence et de la faire appréhender sans clichés, ses enquêtes posent, en filigrane, des questions sur la légitimité de l’euthanasie, la toute-puissance du monde médical, l’opacité des laboratoires pharmaceutiques outre le rejet par la famille quand on ne s’inscrit pas dans la norme. Sur quoi Caïn est-il donc assis ? Sur nos préjugés et nos peurs. Valérie Di Chiappari – Photos France 2 et Sylvaine Séré de Rivières

Caïn, épisode 1 “Suicide” et épisode 2 “Ornella”, à partir de 20h45 sur France 2.

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