Fabrice Malaval, le coach caché de Caïn, ce soir sur France 2

Publié le 11 avril 2014 par Valérie Di Chiappari

La 2e saison de la série Caïn, le flic en fauteuil, se termine ce soir sur France 2. Pendant quatre semaines, elle aura sorti le personnage handicapé du choix réduit auquel il est souvent contraint : héros ou victime. Avec aux côtés de l’acteur principal, Bruno Debrandt, un conseiller technique et comédien en fauteuil roulant : Fabrice Malaval. Pour donner de la crédibilité et faire réfléchir.

La fiction se nourrit de réalité. Elle sert aussi à l’éclairer. Ainsi en va-t-il dans Caïn, la série policière de France 2, diffusée en prime time tous les vendredis soir depuis le 21 mars. Donner à voir et à comprendre le handicap autrement grâce àun flic sexy, parfois méchant et rempli de doutes. Oui les personnes handicapées séduisent, mentent, trompent, trafiquent les règles, souffrent toutes seules ou à cause du regard des autres, savent se défendre et bien d’autres choses encore.

serie-cainTout près du flic en fauteuil, Bruno Debrandt, comédien valide découvert à la télé dans la série Engrenages, se tient Fabrice Malaval (à gauche photo), le conseiller technique de Caïn, lui aussi comédien. Son rôle ? Rendre le personnage crédible et enrichir son profil psychologique : celui d’un homme devenu paraplégique. Pour cela, le coach handicapé a puisé dans son propre parcours.

« Tuer son ancien moi. »

De juin à mi-octobre 2013, lors du tournage de cette 2e saison, à Marseille, Fabrice Malaval a ainsi alimenté la réalité d’un personnage fictionnel auquel il ressemble ou qui lui ressemble. Comme Caïn, il a eu accident de la route. Comme lui, il a une femme et un fils. Mais plus que lui, il a fait le deuil de sa vie d’avant pour construire celle d’après. « Après l’accident, tu restes le même et, en même temps tu n’es plus le même. Tu dois te reconstruire une identité. Au bout d’un moment, tu es obligé de tuer ton ancien moi. C’est toute cette complexité subtile, ce paradoxe, qu’il s’agit d’explorer dans Caïn. Avec mes 26 années en fauteuil roulant, j’ai pu apporter ce regard. »

« Ouvrir le champ des possibles. »

Pour Fabrice Malaval, « l’important c’est d’ouvrir le champ des possibles », de montrer à la société, par télé interposée, « autre chose qu’une infantilisation permanente du handicap ». En ce sens, Caïn réussit son pari. Personnage complexe, à la fois misanthrope et attachant, il fait vaciller les autres dans leurs certitudes en ne leur renvoyant pas l’image à laquelle ils s’attendent.

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Alors tant pis, et pour tout dire tant mieux, si certaines scènes s’avèrent peu plausibles. Après tout, Caïn n’est pas un documentaire. Le téléspectateur sait bien que dans la vraie vie, cela ne se passe pas exactement comme ça. Il peut aussi vouloir que ça change.

« J’en avais assez de buter contre le manque d’accessibilité. »

Le succès de Caïn, qui a réunit en moyenne 3 millions de personnes chaque semaine, lors de sa première saison, et entre 3,5 et 3,7 millions pour la deuxième, n’a pas pour autant coupé Fabrice Malaval de la réalité.

Juste avant d’être associé à ce projet, il voulait quitter la France, destination les États-Unis. « J’en avais assez de buter tout le temps contre le manque d’accessibilité, de me sentir toujours empêché. C’est déjà douloureux quand on vit seul et pour moi, c’est devenu encore pire quand j’ai eu une famille. Ne pas pouvoir entrer dans la salle de ciné, aller au restaurant et tant d’autres embûches au quotidien. » Exaspéré par ce qu’il qualifie de « ségrégation ».

Marre aussi, à 48 ans, d’être trop souvent renvoyé à sa condition de « comédien handicapé bon pour jouer des rôles de handicapés. La production nous dit que, pour avoir une chance de succès, elle doit s’appuyer sur un acteur connu. Absurde, car si tu n’a jamais la chance de montrer ce que tu peux faire, tu ne seras jamais connu. Le chat se mord donc la queue ! »

Avec Caïn, Fabrice Malaval prend cependant des airs de personnage en devenir. Ce soir, dans “Duels”, il croise le héros. Ancien flic lui aussi, le voici dans le même centre de rééducation, plein d’espoir de remarcher.

« Rastignac de banlieue parisienne. »

Son désir de jouer s’est réveillé, il y a plus de dix ans, lors d’un stage pour comédiens qui a fait ressurgir sa vie d’avant quand il était étudiant en droit promis à un brillant avenir et… chanteur dans un groupe de rock.

« J’étais un Rastignac de banlieue parisienne engagé dans un parcours méritocratique, fac d’Assas et Sciences po en vue. J’avais choisi cette voie car j’espérais pouvoir agir à une meilleure prise en compte de l’humain dans la société. » À 22 ans, le parcours presque tout tracé s’est arrêté. « Après l’Hôpital de Garches, une maîtrise de journalisme en poche, je suis allé me rééduquer chez Médecins du Monde, où j’étais en charge de la coordination internationale. Puis, le démon de la culture est revenu. »

« Mettre le cul des directeurs de la voirie dans un fauteuil roulant. »

Jusqu’en 2010 et Caïn, dans des collèges et des lycées, il anime des ateliers d’initiation aux arts de la scène, basés sur les techniques de la commedia dell’arte ou du théâtre de l’opprimé. « Passée la surprise de me voir arriver en fauteuil, les élèves constatent mon investissement physique, les restrictions avec lesquelles je vis mais aussi la façon dont je les dépasse. Et quand on commence à jouer, ils réalisent qu’on a tous nos limites. Le plus handicapé n’est plus alors celui qu’on pense. »

Il a aussi voulu s’investir en politique : 19e sur 33 sur la liste de Marie-Arlette Carlotti, dans le 3e secteur de Marseille, lors des dernières municipales. Avec une très forte envie de « mettre le cul des directeurs de la voirie dans un fauteuil roulant » et de « faire redescendre le pouvoir des administrations au niveau des citoyens. » La possibilité de devenir conseiller d’arrondissement en charge de la culture –« si t’es pas encarté au PS, tu ne peux pas devenir conseiller municipal tout court », n’aura guère duré. Au deuxième tour, la liste a fait 33 % contre 47,7 % pour celle de son adversaire.

serie-cain3« Nous ne sommes pas une force emmerdante. »

Le revoici donc électron libre. La nomination de Ségolène Neuville comme secrétaire d’État chargée des personnes handicapées l’a refroidi. « Un médecin : on nous refait le coup du paternalisme médical. Pour moi, c’est une caricature. »

La politique, il en fait autrement : « Caïn est une série politique qui pose, entre autres, la question de l’idéalisation des minorités, celle des handicapés, mais d’autres rencontrées dans les épisodes. » En début d’année, il a aussi créé l’association Marseille accessible, avec Adda Abdelli, co-auteur et acteur dans la série humoristique Vestiaires. « Nous sommes en plein recours en annulation devant le tribunal administratif contre le schéma urbain d’accessibilité qui permet au métro marseillais de ne pas être adapté ! »

Engagé, ce qui l’agace chez les autres c’est « leur passivité, leur servilité, leur capacité à trouver des excuses à leur oppresseur ». Par le prisme du divertissement, Caïn a donné une autre visibilité au handicap peu présent à la télé, ou de manière trop caricaturale. Au moment, ou presque, choisi par le gouvernement pour faire reculer l’accessibilité de la Cité, et ainsi repousser de plusieurs années la perspective d’une société inclusive.

Fabrice Malaval ne veut pas attendre que cette société française lui fasse une place, malgré son handicap. Il la revendique et la prend. « Nous existons mais on ne nous prend pas en considération car nous ne sommes pas une force emmerdante. » Alors, il a décidé d’emmerder. En bousculant nos a priori. Caïn nous tend un miroir et c’est aussi à Fabrice Malaval qu’on le doit.

Texte Valérie Di Chiappari – Photos Sylvaine Séré de Rivières & DR

Fabrice Malaval en sept dates

Août 1965 : Naissance à Paris.

Septembre 1987 : Renaissance à Marseille (date de son accident).

Juin 1996 : Naissance de son fils.

Octobre 2002 : Retour sur les planches d’un théâtre.

Octobre 2010 : Conseiller technique pour la série Caïn saison 1.

Juin 2013 : Conseiller technique pour la série Caïn saison 2.

Janvier 2014 : Crée l’association Marseille accessible.

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