Guy Tisserant : « Réformons le financement de l’Agefiph et du FIPHFP »

Publié le 20 novembre 2015 par Franck Seuret
Guy Tisserant propose de faire évoluer le système du quota de 6 % de travailleurs handicapés, dont dépend aujourd'hui le financement de l'Agefiph et du FIPHFP.

Depuis 1987, tout établissement de vingts salariés ou plus est tenu d’employer 6 % de travailleurs handicapés. S’il n’atteint pas cet objectif, il doit verser une contribution financière à l’Agefiph (secteur privé) ou au FIPHFP (secteur public). Guy Tisserant, le président du cabinet TH Conseil, propose de réformer ce « système en péril ».

Guy Tisserant est l'auteur du livre Le handicap en entreprise : contrainte ou opportunité ?
Guy Tisserant est l’auteur du livre Le handicap en entreprise : contrainte ou opportunité ?

Faire Face : Quels sont les effets pervers du quota de 6 % ?

Guy Tisserant : Ce quota positionne l’emploi des travailleurs handicapés comme une contrainte plutôt qu’une opportunité. De plus, il conduit de nombreux employeurs à se livrer à une véritable “chasse à la déclaration”, allant parfois jusqu’à exiger des salariés concernés qu’ils déclarent leur handicap. Par ailleurs, il pousse à évaluer les performances des entreprises uniquement à l’aune des 6 %. Par exemple, un employeur qui s’implique fortement dans la prévention des inaptitudes aura vraisemblablement un taux d’emploi plus faible que l’entreprise où la dureté des conditions de travail conduit de nombreux salariés à se retrouver handicapés. Si l’on considère uniquement le taux d’emploi, il sera pourtant considéré comme un moins bon patron !

FF : Ce quota a toutefois contribué à développer l’emploi des travailleurs handicapés, non ?

G.T. : Le nombre de personnes handicapées en poste est en effet en constante augmentation depuis 1987. Il faut y voir l’effet de loi mais aussi le développement de la responsabilité sociétale des entreprises ou bien encore d’autres facteurs comme le recul de l’âge de la retraite. Cela a contribué à augmenter le taux d’emploi, qui atteint aujourd’hui 3,3 % dans le privé et près de 5 % dans la fonction publique.

Mais on constate un effet de ciseaux pervers. Les demandes d’aides financières des employeurs augmentent puisqu’ils comptent de plus en plus de salariés handicapés. Or, les ressources de l’Agefiph (- 30 % depuis 2007) et du FIPHFP (- 40 % depuis 2009) diminuent car elles sont calculées en fonction du différentiel entre l’objectif de 6 % et le taux d’emploi réel. Ainsi, schématiquement, plus l’Agefiph et le FIPHFP aident leurs contributeurs à recruter ou maintenir dans l’emploi des personnes handicapées, plus leurs ressources sont amenées à diminuer.

L'explosion du nombre de demandeurs d'emploi handicapés accroît les besoins d'intervention.
L’explosion du nombre de demandeurs d’emploi handicapés accroît les besoins d’intervention de l’Agefiph et du FIPHFP.

FF : Par ailleurs, le nombre de demandeurs d’emploi handicapés explose. Il a été multiplié par 2,3 en sept ans.

G.T. : Le nombre de personnes reconnues handicapées augmente fortement sous l’effet du vieillissement de la population active. Mais aussi parce que l’obligation d’emploi fait croire à certaines personnes handicapées qu’être reconnues pourrait constituer un avantage, avec les risques inhérents de glisser doucement vers la discrimination positive. Cet accroissement contribue à faire grimper le nombre de demandeurs d’emploi handicapés. Or, l’Agefiph et le FIPHFP ont vocation à financer des actions pour ce public. En bref, les besoins d’intervention vont continuer à augmenter, que ce soit pour les salariés en poste ou les chômeurs, alors que leurs moyens sont condamnés à baisser. On ne peut pas continuer comme ça : le système est en péril.

FF : Que proposez-vous pour sauver l’Agefiph et le FIPHFP ?

G.T. : Faisons évoluer le dispositif du quota et réformons le financement de l’Agefiph et du FIPHFP en passant sur une logique de valorisation des flux. Tout employeur y contribuerait à hauteur d’un pourcentage de sa masse salariale et non plus de son taux d’emploi de personnes handicapées. Dans une logique incitative, un bonus/malus pourrait être instauré. Il dépendrait du pourcentage de recrutements de personnes handicapées sur les flux globaux d’embauches et du nombre de licenciements de personnes handicapées pour inaptitude rapporté aux effectifs globaux de l’établissement. Cette approche aurait l’avantage de garantir à l’Agefiph et au FIPHFP des ressources stables permettant d’offrir aux employeurs et personnes handicapées des mesures pérennes et donc efficaces. C’est, à mon avis, la seule solution pour “sauver” un système qui court probablement à sa perte en sciant la branche sur laquelle il est assis. Propos recueillis par Franck Seuret

Comment 3 commentaires

Que les ressources de l’Agefiph et FIPHFP diminuent en fonction de l’augmentation du taux d’emploi est connu depuis bien longtemps. La formule proposée dans le dernier §, pas très explicite, insinue que les licenciements pour inaptitude seraient de la responsabilité de l’employeur et donneraient lieu à une sorte de malus à son égard. Étrange approche: l’aggravation d’une maladie ou d’un handicap n’est pas la conséquence directe du travail. Et sauvegarder l’emploi de la personne, par un autre poste ou fonction, n’est pas chose aisée. Je parle de mon expérience en tant que modeste chef d’entreprise.

Bonjour,
Je suis moi-même un modeste chef d’entreprise et je suis persuadé que le système de bonus-malus est indispensable car, par expérience, certaines entreprises ont d’une part tendance à licencier pour inaptitude trop aisément sans avoir réellement cherché de solution de maintien dans l’emploi via la compensation du handicap et, d’autres part, cela aurait pour mérite de renforcer l’attention que porte les entreprises à la prévention. De plus, le malus ne serait pas non plus trop lourd à porter pour les TPE/PME mais aurait davantage comme objectif de donner envie de chercher une solution. Enfin, il serait possible de pondérer le malus en fonction de l’origine de l’inaptitude/handicap en le renforçant sur les situation d’ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles).
L’article est évidemment très synthétique et n’aborde pas dans le détail les modalités de calcul du système qui mériteraient d’être analysées dans le détail si le principe était retenu.
Enfin, quand vous évoquez que la problématique des ressources est connue depuis bien longtemps, c’est tout à fait vrai mais peu de personnes en ont encore pris la mesure aujourd’hui et le problème n’existe vraiment que depuis 2009 pour l’Agefiph et 2013 pour le FIPHFP et ne fait que s’aggraver depuis lors. Ainsi, un problème qui était tout à fait théorique il y a quelques années va devenir parfaitement crucial d’ici peu. Le système actuel ne peut donc pas perdurer encore longtemps. Il devra changer et ma contribution consiste à proposer une alternative. Si d’autres personnes trouvent un système plus efficace, je serais tout à fait preneur.
Bien cordialement,
Guy Tisserant

Je trouve cette proposition très intéressante car de nombreuses études montrent que les conditions de travail influent sur la santé au travail, y compris pour les salariés en situation de handicap suivant la manière dont on compense leur handicap. Et c’est encore plus vrai dans certains secteurs fort pourvoyeurs d’inaptitudes professionnelles liés à la pénibilité du secteur, à la formation reçue ou non pour éviter des accidents du travail, la prévention des maladies professionnelles, etc…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de Confidentialité de Google et l'application des Conditions d'Utilisation.

Sujets :
Emploi