Ne rien voir pour mieux recruter

Publié le 24 mars 2016 par Corinne Manoury
Si un candidat les convainc, les employeurs peuvent se retourner pendant sa présentation. À Valenciennes, employeurs et candidats ont joué le jeu du recrutement à l'aveugle. © A. Sénéchal

Jeudi 17 mars, le Cap emploi et l’Université de Valenciennes ont organisé un recrutement à l’aveugle de travailleurs handicapés. L’idée ? Ne juger les candidats que sur leurs compétences et leur motivation.

« C’était le monde à l’envers ! C’était moi qui avait l’embarras du choix… Tout juste si les employeurs ne venaient pas frapper à ma porte. » Pierre Gaillard en est encore tout étonné. Quelle idée ce recrutement à l’aveugle auquel il a participé jeudi 17 mars sur le campus de l’Ensiame, l’école d’ingénieurs de l’Université de Valenciennes (Nord) !

Un concept inspiré par The Voice

Une idée baptisée “Recruter à l’aveugle pour y voir clair !” a germé quelques mois auparavant dans la tête de la responsable du Cap emploi local, Alice Ferrai. « Nous ne voulions pas attendre la seule semaine pour l’emploi des personnes handicapées pour parler de handicap », explique-t-elle. L’évènement a donc pris place au cœur d’une Handi’Week organisée par l’université, avec qui Cap emploi a un partenariat. Mais ce sont surtout le concept et son inspiration qui surprennent. Car c’est l’émission The Voice qui est à l’origine de ce recrutement à l’aveugle de personnes en situation de handicap.

Juger les compétences et la motivation

« Dans les auditions à l’aveugle, le jury ne voit pas les candidats. Or, tous ne sont pas beaux et minces… J’ai pensé que c’était intéressant à détourner pour un recrutement, précise Alice Ferrai. Les employeurs ne verraient ni l’apparence physique, ni l’âge, ni le handicap qui de toute façon est invisible dans 80 % des cas. Les deux seuls éléments sur lesquels ils pourraient juger seraient la motivation et les compétences. »

Partenaires emploi et entreprises mobilisés

Fin janvier, une réunion s’organise donc avec les partenaires emploi et handicap du Cap emploi et de l’université : maison de l’emploi, mission locale, plan local pour l’insertion et l’emploi (Plie), Pôle emploi et Sisep, le service d’insertion sociale et professionnel de l’association Les Papillons blancs. En parallèle, les entreprises des trois bassins d’emploi du Grand-Hainaut, Valenciennois, Cambrésis et Sambre-Avesnois, sont prospectées. Objectif : collecter le plus grand nombre d’offres. Celles transmises chaque semaine aux partenaires emploi.

Briefing collectif pour les candidats

Au total, 65 offres. De leur côté, les partenaires emploi ont reçu 180 candidatures. Toutes ces personnes sont reçues en entretien collectif pour expliquer la démarche : se présenter en trois minutes, comme pour une bande-annonce, devant un parterre d’employeurs leur tournant le dos. Les plus stressés garderont leurs notes pour se livrer à l’exercice, les plus à l’aise le feront de mémoire. Ceux qui le désirent pourront également se faire présenter par un des organisateurs. Et un traducteur en langue des signes sera également présent pour faire l’interface avec les employeurs en cas de handicap auditif. Au total, 106 candidats sont retenus.

Tabliers et bandeaux fournis, évidemment ! © A. Sénéchal
Tabliers et bandeaux fournis, évidemment ! © A. Sénéchal

Un déjeuner à l’aveugle pour mettre en situation

Le 17 mars, la journée commence par une table-ronde de regards croisés sur l’emploi et le handicap, avec des témoignages d’employeurs et de salariés handicapés, l’intervention d’un médecin du travail… La matinée est suivie d’un déjeuner à l’aveugle, avec tabliers et bandeaux fournis, évidemment. Puis, c’est l’heure du recrutement. Après un briefing général, les recruteurs se répartissent dans quatre amphithéâtres selon leurs secteurs d’activité : industrie, commerce, services ou BTP-transports-logistique-mécanique auto. Ils prennent place sur des fauteuils pivotants face au tableau. Et les présentations des candidats commencent. S’ils sont intéressés, les employeurs se retournent pendant la présentation. Ils peuvent alors mener un entretien individuel avec le candidat choisi.

« Tous les employeurs se sont retournés. »

« Le record pour un candidat a été de onze entretiens, note Alice Ferrai. Mais il est aussi arrivé qu’aucun employeur ne se retourne. Il y a alors eu un débriefing avec les candidats concernés pour comprendre ce qui n’avait pas fonctionné. Nous avions également prévu des débriefings avec les employeurs s’ils ne se retournaient sur personne. Mais finalement, ça n’a pas été le cas. Tous se sont retournés au moins une fois. »

76 suites à prévoir

À la clé, des embauches, bien sûr, mais aussi des immersions en entreprise, notamment pour les usagers d’Ésat. Pierre Gaillard, pour qui cinq employeurs se sont retournés, a lui opté pour un poste de préparateur de commande au drive d’un supermarché. Au final, Alice Ferrai note 76 suites à prévoir pour les 153 entretiens en face à face qui se sont déroulés cet après-midi-là.

Une expérience positive

Quant au ressenti des candidats comme des employeurs, il est positif selon les questionnaires de satisfaction. « Assez particulier, stressant mais bon concept », a ainsi écrit un candidat tandis qu’un autre notait que cela obligeait à donner le meilleur de soi-même. Les employeurs, eux, ont fait part d’une « belle découverte » et de « belles rencontres » pour l’un ; d’une « initiative à renouveler » pour un autre tandis qu’un dernier remarquait cependant que l’exercice était « perturbant dans la mesure où nous ne menons pas les entretiens ». Mais c’était là toute l’idée ! Corinne Manoury

Comment 1 commentaire

C’est mieux que de ne pas avoir d’emploi du tout, mais c’est quand même grave d’en arriver là pour trouver un travail, voilà où conduit le mépris des employeurs vis à vis de certains postulants, mépris d’individus qui sont peut-être également des clients ou potentiels clients de ces entreprises.

Et après on nous rabâche que seul le FN est xénophobe ! Mépriser les gens à cause de leur physique et de leur handicap est une forme de xénophobie.

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