Sécurité routière, le spot qui dérange

Publié le 10 mars 2015 par Franck Seuret
Sept victimes de graves accidents de la route ont collaboré à ce spot. (Capture d'écran du film)

Le dernier spot de la Sécurité routière montre les difficultés que rencontrent les victimes de graves accidents de la route. Le film divise les personnes handicapées.

Capture spot Securite routiere 2« Combien de temps allons nous continuer à croire que 100 blessés graves par jour ce n’est pas si grave que ça ? (…) Que réparer les corps peut suffire à réparer les vies ? » La voix off démarre sur le plan d’une voiture roulant à ville allure dans un tunnel. Un homme se réveille sur un lit d’hôpital. Puis des images de personnes handicapées s’enchaînent. En centre de rééducation, ou chez elles, seules ou avec leurs proches. La couleur des images est grise, les visages fermés, les regards des enfants d’une tristesse déchirante…

Montrer la réalité de l’après-accident

« Un accident peut durer toute une vie » : c’est le message du dernier spot de la Sécurité routière. La campagne de communication, lancée en février, vise à « lutter contre une réalité trop méconnue : le nombre de blessés sur les routes baisse beaucoup moins vite que celui des personnes tuées. » La Sécurité routière veut « susciter une adhésion, une mobilisation de la part des Français dont beaucoup ignorent la réalité de l’après-accident. »

Survaloriser le handicap est dangereux

« Certains films, comme les spots réalisés par Channel 4 pour les Jeux olympiques de Londres, valorisent, voire survalorisent le handicap, précise Pascal Couvry, directeur de la création pour Publicis Consultants. Les images fortes montrant des athlètes handisport, jeunes, beaux, accomplissant des performances remarquables peuvent fasciner certains jeunes adultes. Lorsqu’on parle des risques d’accident avec eux, ils nous répondent que ce n’est pas grave s’il deviennent handicapés : ils se mettront au handisport. Notre spot montre une autre facette du handicap, tout en rendant hommage aux victimes, qui se battent au quotidien pour se reconstruire. »

Un message réaliste ou dégradant ?

Le film divise les personnes en situation de handicap. « Étant une des victimes d’un de ces accidents, je trouve cette campagne super, écrit Bertille Baudino sur Facebook. Elle rappelle une chose qu’on oublie trop : oui, on a survécu mais toute notre vie est changée derrière… » Un message parmi de nombreux autres dans la même veine.

Capture spot Securite routiereD’autres personnes, au contraire, jugent que ce spot donne une représentation négative, culpabilisante et réductrice du handicap. « Combien de temps allons-nous continuer à croire que le handicap ne peut être que tragédie ? », interroge Elena Chamorro, membre du collectif Non au report, dans une tribune. (…) La vie après l’accident, avec un handicap, serait une vie brisée, non réparable par opposition à la vie heureuse de valide, la seule  “valable”, celle d’avant l’accident. »

Les personnes handicapées utilisées comme épouvantail

« Ce spot est irresponsable, approuve Yann Beauson, le directeur de la communication de l’APF. Il se sert des personnes handicapées comme d’un épouvantail : “C’est ça qu’il ne faut absolument pas devenir”. Pour défendre une noble cause, la diminution du nombre d’accidentés de la route, il dégrade l’image des personnes en situation de handicap. Je m’interroge également sur la cohérence de la politique de communication du gouvernement. La Sécurité routière, un organisme public, diffuse ce spot utilisant les personnes handicapées comme repoussoir quand d’autres ministères claironnent qu’elles sont aptes à travailler, à aller à l’école… »

Une image façonnée par les clichés

Capture spot securite routiere 4« Les sept témoins de ce spot étaient volontaires, justifie Pascal Couvry. Et toutes m’ont dit qu’elles se retrouvaient dans ce film, qu’elles ne se sentaient pas dévalorisées. Au contraire. On les reconnaît dans leur volonté d’être debout dans leur tête. »

« Si deux ou trois ans après la survenue de mon accident de la circulation, j’avais été sollicitée pour une campagne de prévention routière, j’aurais probablement accepté d’y participer, répond Elena Chamorro. Ma vulnérabilité du moment et ma perception du handicap, nourrie exclusivement par les représentations stigmatisantes que j’avais intériorisées durant ma vie de valide, m’auraient certainement fait adhérer (…). Mais aujourd’hui, (…) loin de l’émotion des premiers temps, je suis consciente que le handicap est surtout une construction sociale nourrie par des clichés, comme ceux présents dans ce spot. Ils justifient et fondent la mise à l’écart dont nous, personnes handicapées, sommes victimes. » Franck Seuret

Comment 9 commentaires

bonjour,
je ne trouve pas çà choquant mais très réaliste et lors du passage du permis de conduire il devrait y avoir un stage de 3 jours en maison de rééducation pour accidentés de la route, pour mieux faire comprendre aux jeunes que la route n’est pas un circuit automobile.

Cela supposerait une logistique hors de portée en moyens humains d’accompagnement et financiers. Logistique déjà très pauvre pour les TIG par exemple.
Je ne suis pas sûr non plus qu’en se mettant en position de ” voyeur “, on apprendrait grand chose. Les personnes à l’aube de leur handicap n’ont pas besoin de ça non plus.

Beau spot… Mais je suis un peu entre deux eaux…

On navigue entre deux extrêmes… Ce positivisme extrême avec les handiathlèles qui disent que ce n’est pas grave d’être handicapé (comme souligné dans l’article) et on a d’un côté ce spot qui, en effet, accentue un peu le côté dramatique du handicap…. Ancienne auxiliaire de vie pour personnes handicapées, j’entendais beaucoup de mes proches dire: “Mon Dieu, le(la) pauvre”, quand je parlais de certains handicaps que je rencontrais chez les personnes chez qui j’intervenais… Cette idée de pitié est agaçante.
Je pense que l’erreur est peut-être de naviguer entre ces deux extrêmes sans trouver le juste milieu. Ce spot de prévention a son utilité parce qu’il est indispensable que les personnes irresponsables sur la route prennent conscience (alors que ça devrait être fait depuis longtemps) que les séquelles sont bien plus graves que ce qu’ils pensent et que tout n’est pas qu’une question de chiffres. Personnellement, ce qui me dérange un peu dans ce spot, c’est reprendre la musique du film “Intouchables”, c’est d’une certaine manière indirecte ramener le handicap à ce film. Film qui caricature et ce même si c’est basé sur une histoire vraie (personne invalide riche et auxiliaire issu de la banlieue).
Ce que je trouve dangereux, c’est de généraliser. C’est comme pour le cancer. On donne l’image de personnes atteintes de cancer comme celle de personnes conquérantes, courageuses, et Dieu sait qu’il y en a, mais je lisais un article un jour sur une personne qui disait avoir un cancer et sentir une pression de ne pas pouvoir renvoyer cette image de courage parce qu’elle n’avait aucunement l’envie de s’accrocher et qu’elle n’avait pas envie qu’on la blâme pour ça.
Sans m’éloigner du sujet de cet article, je trouve que ce spot de manière générale est intéressant, vraiment. Est-ce que l’électrochoc sera là? Affaire à suivre…

Je pense que l’essentiel avant tout est de briser les barrières entre personnes “valides” et personnes “invalides”.
Handicap ne rime pas qu’avec courage ou douleur, parce que ce sont des choses qui sont communes à toutes et tous. Mais il faut rapprocher les “frontières” entre le monde “normé” tel qu’on le connait et le “monde” “invalide”. Je mets beaucoup de guillemets parce que je suis agacée par toutes ces étiquettes qu’on inflige à tellement de monde.

Mélangeons-nous tous et arrêtons de nous cataloguer. On apprendra sûrement un peu mieux à s’aimer et se respecter.

Merci pour votre commentaire. Je n’aurais pas dit mieux ! Vous êtes auxiliaire de vie et ça se sent dans votre façon de connaître le monde du handicap. Je suis handicapée (assez “lourdement” aux vues de la société), je suis heureuse, mais c’est vrai, je suis née comme ça, alors ma vision est très différente d’une personne invalidée par un accident.

Commentaires sur ceci ou cela: qui conviennent ou non à tel ou tel responsable d’une telle ou telle association qui parle au nom de qui? Fatiguant et lassant. Un peu comme chaque phrase d’un politique quelconque( il y a pléthore dans notre pays): commenté, trituré dans tous les sens par pseudo-politologues, philosophes (auto-définis) etc. Désolant et si peu progressif. L’action militante est dans le quotidien et foin des manifs dans la rue, Conseil d’Etat etc. Et les décideurs qu’il faut harceler ne se trouvent pas au niveau d’un gouvernement quelconque, mais aux contact des commissions communales du moins pour l’accessibilité. Les grandes assoc ne semblent pas trop comprendre cela. A bon entendeur…

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