La Rue des allocs : quand la télé touche le fond

Publié le 23 août 2016 par Claudine Colozzi
Inspirée de l’émission anglaise Benefits Street, diffusée sur Channel 4 en 2014, la nouvelle production de M6 n'a obtenu que 10 % des parts de marché.

La Rue des allocs, le nouveau docu-réalité de M6, diffusé mercredi 17 août, proposait de découvrir in vivo le quotidien des habitants du quartier de Saint-Leu, à Amiens. Un quartier où le chômage avoisine les 20 % et où beaucoup de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Une plongée voyeuriste, putassière et dépourvue d’empathie.

« Ils vivent avec moins de 1 000 euros par mois. » « Comment vivre lorsque chaque centime compte ?, Comment s’en sortir ? » Bienvenue à Saint-Leu, un quartier d’Amiens où une majorité d’habitants survit grâce aux minima sociaux. Bienvenue dans La Rue des allocs. Rien qu’en lisant le nom, on craint le pire. À juste titre.

Inspirée de l’émission anglaise Benefits Street, diffusée sur Channel 4 en 2014, la nouvelle production de M6, la chaîne qui n’en finit pas de se creuser les méninges pour dénicher des concepts plus racoleurs les uns que les autres, est à la hauteur de la rumeur qui a précédé sa programmation. « La seule chose qui m’intéressait était de mettre un visage sur les statistiques du chômage que l’on entend tous les mois tomber à la radio ou à la télé, expliquait Stéphane Munka, réalisateur de ce documentaire pour justifier sa démarche avant la diffusion de l’émission baptisée au départ Zone prioritaire. Je voulais montrer ce que c’était de vivre avec du chômage longue durée, avec moins de 1 000 euros par mois. » Soit ! Ce n’est pas tant l’intention qui compte que les moyens d’y parvenir.

« L’exploitation de la misère humaine à des fins d’audimat. »

Gros plans appuyés sur les canettes de bière, les jeux de hasard sur téléphone, les cigarettes qu’on roule faute de mieux… Discours empâtés par l’alcool, petites combines entre amis… Seule Marie-Jo, veuve avec cinq enfants, crève l’écran par sa sincérité touchante que la caméra ne parvient pas à caricaturer. Maigre consolation, M6 a obtenu moins de 10 % des parts de marché et n’a pas annoncé les dates de diffusion des deux épisodes suivants. La Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) a saisi le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA). « Les règles de décence et de respect de la dignité humaine sont à l’évidence bafouées à travers une émission guidée par un voyeurisme malsain et l’exploitation de la misère humaine à des fins d’audimat », dénonce-t-elle.

Des protagonistes trahis et caricaturés

Des audiences décevantes et le bad buzz pousseront très certainement M6 à envisager une programmation en toute fin de soirée, voire une déprogrammation. Même si le mal est fait – une pétition a été lancée par les habitants de Saint-Leu choqués par l’émission et le « regard partisan et trompeur d’un pseudo documentaire qui vient jeter l’opprobre sur Amiens et sur l’un de ses quartiers emblématiques » – personne ne s’en plaindra. Surtout pas les protagonistes qui se sont sentis trahis et caricaturés.

La situation de l’un d’entre eux s’est même encore détériorée depuis le tournage de l’émission. Présenté comme « dépressif », « inapte à l’emploi », Philippe, 46 ans, dont l’AAH passe dans l’achat d’alcool, était montré descendant les bières les unes après les autres dès 10h du matin. Selon des informations du Courrier Picard, il a été expulsé du logement dont il ne payait plus le loyer depuis deux ans. Dans l’émission, on le voit paniqué face aux courriers le menaçant d’expulsion. C’est désormais chose faite. Personne ne sait trop bien ce qu’il devient… Quand la réalité dépasse la télé-réalité. Claudine Colozzi

Revoir l’émission sur 6play

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