La réforme du code du travail fragilise la prévention des risques professionnels

Publié le 23 septembre 2017 par Franck Seuret
Au moins 150 000 travailleurs sont reconnus inaptes à leur emploi, chaque année. Deux fois plus qu'il y a dix ans.

Les ordonnances réformant le code du travail suppriment le CHSCT, un acteur essentiel de la prévention des risques professionnels. Ses missions seront assurées par un comité social et économique qui fusionnera trois instances représentatives du personnel, dont le CHSCT. Au risque d’être diluées.   

Une véritable épidémie… Chaque année, plus d’un million de salariés se voient notifier des restrictions d’aptitudes par le médecin du travail ou des demandes d’aménagements de poste de travail. Et au moins 150 000 sont reconnus inaptes à leur poste de travail, et très souvent licenciés, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Nombre d’entre eux viennent alors grossir les rangs des travailleurs reconnus handicapés.

La moitié des inaptitudes seraient dues à des accidents de la vie courante, une maladie cardio-vasculaire, etc ; l’autre, à des facteurs d’origine professionnelle, pas toujours reconnus comme tels. La prévention des risques professionnels constitue donc un véritable enjeu.

Les CHSCT étaient obligatoires dans les établissements d’au moins 50 salariés

Emmanuel Macron a signé, le 22 septembre, les ordonnances réformant le code du travail.

Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en sont un des acteurs essentiels. Ou plutôt en étaient puisque les ordonnances réformant le code du travail, signées vendredi 22 septembre par le président de la République, vont les faire disparaître.

Ces CHSCT étaient jusqu’alors obligatoires dans les établissements d’au moins 50 salariés. Présidés par le chef d’établissement, ils réunissaient des représentants du personnel et pouvaient accueillir le médecin du travail, l’inspecteur du travail, etc. Leur mission : analyser les conditions de travail, vérifier le respect de la réglementation ou bien encore enquêter sur les causes des accidents de travail. Le CHSCT devait également être consulté avant toute décision d’aménagement important.

« La mauvaise conscience de l’employeur. »

« Les CHSCT tirent leur légitimité de leur proximité avec le terrain, précise Annabelle Chassagnieux, la co-présidente de l’association des experts agréés et des intervenants auprès des CHSCT (Adeaic). C’est l’instance où peut s’exprimer ce que les travailleurs vivent au quotidien. »

« Les élus de ces comités constituent la mauvaise conscience de l’employeur, lui rappelant sans cesse les conséquences de ses décisions sur les salariés », souligne le sociologue du travail, Louis-Marie Barnier, chercheur associé au Lest-CNRS.

Priorité à l’emploi ou à la santé au travail ?

Les CHSCT, les délégués du personnel et les comités d’entreprise vont être fusionnés dans une seule instance : le comité social et économique (CSE). Les représentants du personnel qui y siégeront seront donc forcément plus généralistes et auront aussi moins de temps à consacrer à chacun des domaines de compétences du CSE.

Cette fusion ne devrait en effet pas se faire à moyen constants : le gouvernement n’a pas fait mystère de son intention de réduire, par décret, le nombre des représentants et d’heures de délégation. « Et dans le contexte actuel, on peut s’attendre à ce que les sujets liés à l’emploi et à la santé financière de l’entreprise prennent plus de place que la santé au travail », pointe Nicolas Spire, expert auprès des CHSCT.

Une commission spécialisée dans les entreprises de plus de 300 salariés

Dans les entreprises d’au moins 300 salariés et dans toutes les entreprises dites à risques, ce CSE devra se doter d’une commission santé, sécurité et conditions de travail. Mais ses membres seront désignés uniquement parmi les membres titulaires ou suppléants de la délégation du personnel du CSE, ce qui ne règle pas le problème du manque de temps.

De plus, cette commission n’aura pas de personnalité juridique propre, contrairement au CHSCT et au nouveau CSE. Et donc pas le pouvoir d’agir en justice elle-même, afin de forcer l’employeur à respecter les prescriptions légales, par exemple. Enfin, les missions qui lui sont dévolues ne recouvrent pas intégralement celles des CHSCT.

Le Medef approuve, des syndicats contestent

Cette fusion des instances représentatives du personnel répond à une demande de longue date du Medef. Mais des syndicats sont opposés à la disparition des CHSCT. La CGT notamment mais aussi la CFE-CGC, qui avait même lancé une pétition pour leur maintien : « Il faut (…) au moins deux instances de représentation distinctes. (…). L’une aura mission d’examiner les fondamentaux de la santé économique de l’entreprise (…). L’autre devra renforcer sa performance sociale (…). Toute entreprise ne possède-t-elle pas deux directions distinctes, l’une financière, l’autre des ressources humaines ? » La prévention du handicap passe aussi par le code du travail. Franck Seuret

Frapper au portefeuille

La réforme limite également la capacité des CSE à faire appel à des sociologues du travail et autres spécialistes des risques professionnels. Jusqu’alors, ces expertises étaient intégralement financées par l’employeur.

Désormais, sauf en cas de risque grave, elles devront être cofinancées à 20 % par les CSE. Certes, ces derniers disposeront de leur propre budget mais celui-ci est limité. Les arbitrages entre financement des œuvres sociales et études sur les conditions de travail s’annoncent difficiles.

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