Cholestérol : le grand bluff ou la fabrique d’un coupable idéal

Publié le 28 novembre 2017 par Corinne Manoury
Dans les années 50, le physiologiste américain Ancel Keys avance un lien entre consommation de matière grasse et maladie cardiaque. Il n'hésite pas à tordre les données pour valider son hypothèse. © Arte

Qu’est-ce qui nous oblige à croire que le cholestérol est un nuisible colonisant nos artères ? Anne Georget dans son documentaire “Cholestérol : le grand bluff” diffusé ce mardi soir sur Arte pose la question. Une enquête documentée qui montre comment ce dogme a été façonné par des approximations scientifiques et de puissants intérêts économiques.

Un homme musclé et bronzé parade au bord d’une piscine. Tout va bien pour lui. Sauf son taux de cholestérol. Un ennemi dont il ne soupçonne même pas l’existence, lui le sportif qui se croit en parfaite santé…

Ces images qui ouvrent le documentaire “Cholestérol : le grand bluff” sont celles d’une publicité américaine pour un médicament anticholestérol. Elles montrent combien depuis des décennies, on invite tout un chacun à surveiller son taux de cholestérol. Et surtout, comment on a fait de cette graisse, pourtant essentielle au bon fonctionnement de nos cellules, la grande responsable de tous nos problèmes cardiovasculaires.

Des faits fabriqués pour valider une hypothèse

“On aurait aussi pu décider de boire de l’eau sans calcaire. Mais le cholestérol, c’était le gras, la bonne chère, l’embonpoint… Le coupable idéal” dit le Dr Dominique Dupagne, journaliste médical. © Arte

L’affaire commence au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Aux États-Unis, beaucoup d’hommes font des accidents cardiaques, y compris le président Eisenhower. Le physiologiste Ancel Keys avance un lien avec la consommation de matière grasse. Pour le mettre en évidence, il lance en 1958 une étude dans sept pays. Sont regardés l’alimentation, le taux de cholestérol et le risque d’accident cardiovasculaire.

Mais « Ancel Keys va faire une mauvaise science qui consiste à fabriquer les faits qui vont valider son hypothèse », explique le Dr Dominique Dupagne, médecin généraliste et journaliste médical. Sur la courbe qu’il construit et qui montre une augmentation du risque d’infarctus proportionnelle à la consommation de graisse, Ancel Keys laisse de côté deux pays, la France et la Finlande. Or, si les deux pays consomment des matières grasses en quantité égale, le risque d’infarctus est de 1 seulement en France contre 7 en Finlande.

Les intérêts de l’agro-alimentaire favorisés

Des scientifiques ont bien tenté de s’opposer à Keys. Mais ils y ont souvent perdu les financements de leurs recherches. Surtout, la théorie de Keys va favoriser l’industrie des produits à base de graisses végétales présentant l’avantage d’être moins chers à produire.

Elle va aussi servir les intérêts de l’industrie du sucre, soupçonné lui aussi d’être responsable des maladies cardiovasculaires. En 1965, ces industriels confient à des chercheurs de Harvard le soin de démonter les arguments des publications mettant en cause le sucre.

Des médicaments hyper prescrits mais au bénéfice contestable

En 1999, le médecin et chercheur Michel de Lorgeril s’intéresse à ce que mangent les populations du pourtour de la Méditerranée qui font peu d’infarctus. © Arte

Mais le plus impressionnant, c’est la façon dont les statines, molécules anticholestérol prescrites à plus de 220 millions de personnes dans le monde, ont été mises sur le marché. En France, celle qui a connu le plus de succès n’a fait l’objet d’aucune étude de la part du laboratoire, mais d’une large campagne de communication. Aux États-Unis, les essais cliniques montraient des résultats spectaculaires. Mais ils étaient financés par les laboratoires privés. De plus, personne ne parvenait à les reproduire.

« Aujourd’hui, il existe des techniques d’imagerie permettant de mesurer le taux de calcium dans les artères. On fait même des scores calciques et des investigateurs disent que ce sont de bien meilleurs prédicteurs d’accident cardiovasculaire que le cholestérol », explique Michel de Lorgeril, médecin et chercheur au CNRS. Or, les facteurs associés à un score calcique élevé sont, selon le chercheur, le diabète, l’insuffisance rénale, un cholestérol bas et enfin… la prise de statines. Comment un dogme peut, au final, devenir dangereux. Corinne Manoury

À voir sur Arte mardi 28 novembre à 20h50 puis en replay sur Arte+7
La diffusion sera suivie d’un débat?

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