Fleuve noir : derrière le polar, les violences sexuelles envers les personnes handicapées mentales

Publié le 19 juillet 2018 par Élise Descamps
Lauréna Thellier incarne Marie, adolescente handicapée mentale, second rôle mais élément clé de l'intrigue.

Dans Fleuve noir d’Érick Zonca, à l’affiche depuis mercredi 18 juillet, il y a une disparition, de la drogue, de l’alcool, un étrange voisin… et Marie. Un personnage pas si secondaire que cela portant la question de la solitude des familles confrontées au handicap. Mais aussi celle du droit à la sexualité et des violences sexuelles subies par les personnes ayant un handicap mental.

Un polar signé Érick Zonca,  Fleuve noir, devait forcément compter une touche sociétale, voire engagée, même reléguée aux seconds rôles ou prétextes tant le réalisateur de La Vie rêvée des anges est attaché aux personnages écorchés. Le roman qu’il a choisi d’adapter, Une Disparition inquiétante, de l’auteur israélien Dror Mishani, lui offrait cette opportunité.

Il y a donc le traditionnel flic alcoolique, brutal et néanmoins sensible (Vincent Cassel). Un jour, il se retrouve face à une mère (Sandrine Kiberlain), effondrée après la disparition de Dany, son fils adolescent. Le voisin de cette famille (Romain Duris), professeur de français, au comportement très suspect, tient enfin un sujet de roman. Et il y a Marie.

Le handicap, du second rôle au mobile du crime

Marie est la sœur de Dany. Elle est atteinte d’un lourd handicap mental. Sa mère s’occupe d’elle. Son père, marin, est souvent absent. On le suppose, Dany, décrit comme un bon garçon, étouffe dans ce foyer. Alors évidemment, on envisage la fugue, le désir d’exister pour lui-même. Puis le meurtre, par un pervers, dans le bois, glauque, d’à côté.

Le handicap n’est, tout le long du film, qu’une toile de fond. La mère courage, si douce, vivant un quotidien si difficile, si proche de sa fille et si soucieuse de la préserver du drame qui se joue, apparaît comme héroïque.

 

Le cliché de la famille protectrice

Le film joue de ce cliché. Puis il le retourne au dénouement du film. Si Dany est mort, c’est qu’il savait ce qui se passait entre son père et sa sœur, avec la complicité de sa mère. Il n’en pouvait plus et il a été chercher les coups.

Sa sœur, que l’on voit à plusieurs reprises soulever sa jupe, éprouve du désir. Dont son propre père va abuser, à chaque veille de départ. « Elle le provoque pour qu’il lui fasse tout. Elle ne voit pas le mal comme nous. Je n’ai pas voulu lui interdire la vie. J’ai voulu garder Marie. Je n’ai pas protégé mon fils », finira par avouer, derrière les barreaux, la mère. Une Sandrine Kiberlain impeccable.

L’ambiguïté insoutenable du statut de victime

L’espace d’un instant, le spectateur peut se demander : le père est-il coupable ou victime ? Marie est-elle consentante ? Cette ambiguïté est insoutenable. Le vécu complexe de cette famille et la terrible réalité des violences sexuelles faites aux personnes handicapées mentales sont la claque des dernières secondes du film.

Pour incarner Marie, Éric Zoncka a choisi une jeune comédienne, Lauréna Thellier, particulièrement motivée par le défi. « J’envoyais des vidéos toutes les semaines au directeur de casting pour montrer ma progression. Je ne connaissais pas le handicap mental. J’ai regardé un documentaire, observé des personnes trisomiques dans le bus. Je suis heureuse de ne pas jouer des rôles de potiches », explique-t-elle. Elle est bluffante, par sa gestuelle, son regard, son énergie, sa joie et ses tourments.

Très noir, maîtrisant le suspense, il faut d’abord aller voir Fleuve noir comme un polar. Mais l’on peut se réjouir qu’il dérange aussi en campant ce triple sujet tabou, certes traité de manière légèrement caricaturale, du droit à la sexualité des personnes handicapées mentales, de l’inceste et de la place de la fratrie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de Confidentialité de Google et l'application des Conditions d'Utilisation.