Route du Rhum 2018 – Fabrice Payen : « J’ai le sentiment d’avoir fait le job. »

Publié le 26 novembre 2018 par Bruno Saussier
Fabrice Payen à Leixões au Portugal, le 11 novembre, une fois son bateau endommagé mis à l'abri. © TeamVent Debout

Jeudi 8 novembre, après quatre jours de navigation plus qu’intense, le mât du trimaran Team Vent Debout casse net au large du Portugal. Pour le bateau, la Route du Rhum s’arrête. Pas pour Fabrice Payen, skipper amputé d’une jambe, plus motivé que jamais. Retour sur sa course, ses satisfactions, ses déceptions, ses ambitions.

L’amertume pointe dans la voix. La colère aussi. Avec une grande fatigue et pas mal de questions sur l’avenir. Mais aussi de la fierté et du panache. « Mes quatre jours de course se sont passés plutôt pas mal. Un départ super avec de très bonnes conditions météo, un vent soutenu et une mer plate. Je suis arrivé premier ou second de ma catégorie au Cap Fréhel, et j’ai rapidement pris la tête de la classe des Multi50. »

Le trimaran Team Vent Debout a passé trois dépressions, pas la quatrième. Un vent violent a arraché la pièce métallique sur laquelle sont fixés tous les câbles retenant le mât. © Bruno Saussier

Jusqu’ici ça va

La météo annonçait des conditions difficiles. Dans un premier temps, Fabrice Payen songe à s’arrêter à Brest ou Camaret pour se mettre à l’abri. « Mais je n’arrivais pas à intégrer cette idée dans ma tête. Finalement, mon routeur (la personne à terre chargée de tracer la route de navigation optimale en fonction des conditions météo, ndlr) m’a dit qu’il y avait un moyen de passer au nord. J’allais prendre cher mais le bateau en était capable. »

Fabrice et son trimaran passent la première dépression. La seconde, puis la troisième aussi. Quand la quatrième déboule, un coup de vent plus fort que les autres arrache la cadène de hauban sur laquelle sont fixés tous les câbles retenant le mât. Mât, voiles et haubans tombent comme un arbre en travers du voilier.

Le skipper, six vis entre les dents, s’apprêtant à effectuer une réparation d’urgence. © TeamVentDebout

« La seule solution était de larguer le gréement pour éviter d’endommager le bateau car la mer était formée. » Le skipper réagit vite. Combinaison de survie enfilée, il s’affaire à réparer les dégâts car la cadène arrachée laisse un trou béant sur le flotteur tribord.

Danger public

Sans ses voiles, le trimaran Team Vent Debout devient ingouvernable. Seul coup de chance dans cet univers de tuiles, Fabrice bénéficie d’un vent favorable qui le pousse vers la côte. Bricoleur, il monte un gréement de fortune.

« J’ai décidé d’aller sur Porto (Portugal). Mon système automatique informant les autres bateaux de ma présence était mort mais la direction de la course a accepté de donner ma position tous les quarts d’heure. J’étais un danger pour les cargos. C’était un peu tendu. » Le voyage jusqu’à la côte prendra trois jours et deux nuits. (Photo Payen3 ou Payen1 ou 2)

Le 11 novembre, le skipper et son trimaran sont enfin en sécurité au port de Leixões (Portugal). C’est l’heure de l’état des lieux. Avec un flotteur crevé, un mât à trouver, tout l’accastillage à mettre en place et de nouvelles voiles à se procurer, les travaux à faire pour remettre le bateau en état sont trop importants. « Deux fois la valeur du bateau en budget », calcule-t-il. Le Rhum 2018 s’éloigne sans lui et il annonce officiellement son abandon deux jours plus tard.

https://www.facebook.com/teamventdebout/photos/a.1834153830245146/2175102532816939/?type=3&theater

Des victoires et un regret

Son tout premier sentiment, c’est le gâchis. « Énorme au regard du travail investi. Je suis déçu parce que j’étais parmi les quatre bateaux de ma catégorie à avoir passé les dépressions. Mon bateau était fait pour aller vite alors il y avait une chance de podium derrière. »
Quand il ajoute à ça la mise en lumière médiatique du handicap, et de bons retours en communication, il assume : « J’ai le sentiment d’avoir fait le job. J’ai fait parler du projet et dit ce que j’avais à dire. » Il assure n’avoir aucun sentiment d’échec, au contraire. « J’étais aux avant-postes et j’ai montré que je pouvais être avec les meilleurs et avec ma prothèse. »

Aujourd’hui, Fabrice Payen souhaite rapatrier Team Vent Debout sur Lorient. « On recherche des partenaires pour entamer les réparations. Et je vais peut-être penser à une course pour l’année prochaine. La Transat Jacques-Vabre serait parfaite. »

Son seul vrai regret ? Que les médias, TV en particulier, n’aient d’yeux que pour la catégorie Imoca rassemblant les plus gros bateaux. « J’ai revisionné le direct du départ. À la bouée du Cap Fréhel, nous sommes deux multicoques au milieu des Imoca. On nous voit à l’image, mais on ne parle pas de nous. Je trouve ça assez sidérant. » Comme une métaphore du regard que la société porte encore parfois sur le handicap ?

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