Grossophobie, la discrimination XXL que l’on ne voit pas

Publié le 3 mars 2021 par Corinne Manoury
Les messages sur l'alimentation renforcent la culpabilité et la stigmatisation des personnes atteintes d'obésité.

La corpulence est-elle un motif de discrimination ? Oui, régulièrement et dans de multiples situations. C’est ce que montre une enquête Odoxa sur la grossophobie en France, rendue publique mardi 2 mars. Pourtant, ces stigmatisations sont tout simplement ignorées, déplore la Ligue contre l’obésité.

Il n’est entré dans le dictionnaire qu’en 2019. Grossophobie vient du latin grosso pour “gros” et du grec phobie pour “peur”. Et se définit comme une « attitude de stigmatisation, de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids ». Mais nommer le phénomène a-t-il permis de l’enrayer ? Pas le moins du monde, si l’on en croit les chiffres de l’enquête Odoxa, publiée à l’occasion de la Journée mondiale contre l’obésité, qui se tient en France du 4 au 6 mars.

L’institut de sondage a interrogé près de 12 000 Français sur les discriminations, dont quelque 2 000 jeunes de 8 à 17 ans. Puis, il a croisé les réponses de ces personnes avec leur indice de masse corporelle (IMC). C’est-à-dire, le chiffre qui mesure leur corpulence. Les résultats sont édifiants.

Des discriminations continuelles et dans toutes les sphères

Ainsi, si 18 % des Français disent subir ou avoir subi des discriminations, le pourcentage monte à 23 % pour les personnes en situation d’obésité. Et jusqu’à 41 % pour les personnes en obésité massive. Des discriminations très corrélées à l’âge et au sexe. Les jeunes et les femmes étant plus touchés que les seniors et les hommes. On note donc que 45 % des 18-24 ans en obésité et surtout, 47 % des jeunes femmes, se sont déjà sentis discriminés. Soit une dizaine de points de plus que la moyenne des gens de leur âge et de leur sexe.

Pire, ces discriminations sont fréquentes. De 54 % hebdomadaires et 74 % mensuelles pour l’ensemble de la population, elles passent à 70 % et 92 % pour les personnes en situation d’obésité. Et elles se produisent partout. Tant dans l’espace public (50 %), le milieu scolaire ou professionnel que dans la sphère privée ou le monde médical (19 %).

Des équipements inadaptés aux soins et aux déplacements

Chez ces professionnels, outre l’idée bien ancrée que l’obésité se guérit par l’alimentation et l’activité physique, Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l’obésité, pointe le manque d’équipement adapté. « Il est encore souvent impossible de faire une IRM, même en Île-de-France, explique-t-elle. En zone rurale, des personnes ont témoigné qu’elles avaient été contraintes d’aller chez le vétérinaire pour une simple radio. »

Dans l’espace public, ce sont des difficultés d’accès aux transports en commun, mais aussi aux parkings. Les personnes en situation d’obésité n’ayant pas le droit de se garer sur les places handicapées. Quant aux avions, on ne compte plus les plaintes contre les compagnies ayant facturé deux places ou refusé l’accès à l’appareil. Le chômage, enfin, touche bien plus les personnes obèses que le reste de la population.

Une très chère obésité pour la société et les personnes concernées

« Il est temps de changer de paradigme, car tout cela coûte cher », note Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l’obésité. La prise en charge défaillante de l’obésité, non reconnue comme une maladie, conduit en effet souvent à une chirurgie coûteuse, entraîne des comorbidités et beaucoup de non-emploi. Sans compter le prix à payer, moralement, par les personnes concernées.

Plateforme anti-discriminations : où est passée la corpulence ?
Si la Ligue contre l’obésité a salué le lancement d’une plateforme de lutte contre les discriminations le 12 février dernier, elle s’interroge. Aucun onglet n’y permet en effet d’aborder la grossophobie et aucune association n’est référencée à ce sujet.
« C’est encore une fois une négation de cette pathologie et de cette discrimination, constate la directrice de la ligue. Nous demandons à la Défenseure des droits de reconnaître la corpulence comme un motif de discrimination à part entière et de l’intégrer à la plateforme. »
Seule la discrimination à l’apparence physique permet, en effet, aujourd’hui de prendre en compte l’obésité. Mais ce critère concerne surtout la façon de s’habiller ou les tatouages.

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