Politique du handicap : « Pour une égalité concrète, il faut un traitement différentiel »

Publié le 10 mai 2021 par Franck Seuret
« On peut penser l'égalité de manière abstraite : tout le monde devrait être traité de la même manière. Mais c'est une fiction car nous ne partons pas tous du même point de départ. » © ilovehz

Le titre de l’ouvrage qu’Emmanuelle Fillion cosigne avec Pierre-Yves Baudot annonce la couleur : Le Handicap, cause politique. Entretien avec cette sociologue, professeure à l’École des hautes études en santé publique, qui analyse la mobilisation des personnes handicapées et des associations.

Faire-face.fr : Pourquoi le handicap est-il une cause politique ?

E.F : Il nous oblige à interroger notre rapport aux normes et notre projet de société. En effet, le handicap ne définit pas la déficience d’une personne mais correspond à une situation produite par l’environnement physique, matériel, culturel…

« Interroger cet environnement conçu par et pour des valides »

L’approche universelle du handicap, selon laquelle nous sommes tous potentiellement handicapés, permet d’interroger cet environnement conçu par et pour des valides et non pour tous les modes de fonctionnement.

F-f.fr : Quelle est l’implication pour les politiques publiques ?

E.F : Celles-ci ne peuvent se limiter, pour le handicap, au seul champ des politiques médicales et sociales. De plus, agir pour l’inclusion des personnes identifiées comme handicapées permet de dynamiser la participation sociale de tous. Le plancher surbaissé des bus facilite la vie des personnes âgées ou chargées de paquets. L’arrivée d’étudiants handicapés dans les universités reconfigure les modalités de transmission des savoirs.

« Les personnes handicapées restent marquées par de multiples discriminations »

F-f.fr : Mais alors faut-il encore des droits sociaux spécifiques, comme l’AAH, pour les personnes reconnues handicapées ?

E.F : Oui, car c’est ce qui permet l’accès à la participation à la vie sociale pour certaines personnes. On peut certes penser l’égalité de manière abstraite : tout le monde devrait être traité de la même manière. Mais cette vision s’appuie sur une fiction car nous ne partons pas tous du même point et les parcours de vie des personnes handicapées restent marqués par de multiples discriminations. Pour une égalité concrète, il faut un traitement différentiel.

« La politique du handicap a été pensée sur le mode caritatif »

F-f.fr : Si le handicap est une cause politique, y a-t-il une mobilisation politique des personnes handicapées ?

En France, elle est restée longtemps assez faible, quoique cela change depuis quelques années. Cela s’explique notamment par l’histoire de la politique du handicap. Elle a été pensée sur le mode caritatif, au nom de la charité chrétienne d’abord, puis du devoir d’assistance de l’État. Ce n’est qu’à l’aube du XXIe siècle que le référentiel des droits et de l’égalité s’est imposé. Mais il vient se superposer au modèle assistanciel sans s’y substituer.

F-f.fr : La France compte pourtant des associations puissantes…

E.F : Les associations gestionnaires ont pris de l’ampleur avec le développement du secteur médico-social. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, l’État leur en a délégué la mise en œuvre. Par ailleurs, elles sont associées, en amont, aux décisions dans tout le champ du handicap, via un système de concertation. Tout cela limite la conflictualité acceptable et marginalise les associations plus contestataires.

« Les associations plus contestataires s’imposent davantage »

Ces dernières s’imposent cependant davantage dans l’espace public depuis quelques années. Et les associations gestionnaires, qui assurent également une mission de représentation des personnes et de leurs proches, ont engagé une dynamique autour de la question des droits, de l’égalité et de l’autoreprésentation. Le mouvement Ni pauvre, ni soumis, en 2008, ou la récente mobilisation pour l’accessibilité, à l’initiative d’APF France handicap, en sont des illustrations.

Presses universitaires de France, mars 2021, 9,50 €, 108 pages.

F-f.fr : L’engagement fort des personnes et des associations pour la déconjugalisation de l’AAH démontre-t-il une politisation croissante ?

E.F : Les mesures d’économies qui ont accompagné la revalorisation de l’AAH ont suscité l’indignation de nombreux allocataires, en lien avec les thématiques de la précarité, de la pauvreté et de l’aspiration à plus de justice sociale. De plus, l’individualisation de l’AAH trouve un terreau très favorable dans le mouvement de fond contre les violences conjugales. Tout cela contribue à une forte mobilisation politique citoyenne, bien au-delà du monde du handicap.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de Confidentialité de Google et l'application des Conditions d'Utilisation.

Sujets :
Société