Choc toxique : « Ce qui m’est arrivé doit être utile aux autres femmes »

Publié le 28 mai 2021 par Valérie Di Chiappari
Dans "Choc toxique", Sandrine Graneau (à droite) et Claudine Colozzi (à gauche) livrent tout à la fois un fort témoignage et une somme d’informations sur un sujet bien peu abordé. © Astrid di Crollalanza

28 mai, Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Mais les fabricants de serviettes, tampons, cup… communiquent peu sur la composition exacte de leurs produits et leurs risques potentiels. En 2020, en France, une vingtaine de femmes ont été victimes d’une maladie infectieuse rare liée au port d’une protection intra-vaginale et pouvant entraîner de lourdes séquelles : le choc toxique. Dans un livre éponyme, Sandrine Graneau, amputée tibiale et d’une grande partie de ses mains, raconte son combat quand la vie bascule, appuyé par les chapitres documentés de la journaliste Claudine Colozzi, collaboratrice de Faire Face. Pour que les femmes puissent vivre leurs règles en sécurité.

Faire-face.fr : Choc toxique, c’est un électrochoc. D’un côté, la brutalité avec laquelle vous vous retrouvez en situation de handicap. De l’autre, la stupeur de la lectrice qui se dit : « Cela aurait pu m’arriver. » Pourquoi ce manque d’information des femmes sur les protections hygiéniques ?

Sandrine Graneau : Les marques communiquent en disant : « Avoir ses règles, c’est hyper cool. » Toutes développent leur coupe menstruelle (cup) en vendant de la liberté. C’est pratique, écolo, et financièrement intéressant. Sans vraiment parler de risque, sans que les notices soient toujours très claires ou alors écrites en tout petit. Nous sommes le pays des normes, on a confiance. On nous parle de cup en silicone médical, le mot est rassurant.

Claudine Colozzi : En 1980, aux États-Unis, a éclaté le scandale des tampons Rely (Procter & Gamble). Vantés comme super absorbants, et utilisables de jour comme de nuit. Les femmes les portaient longtemps. Les cas de choc toxique ont augmenté, les Rely ont été retirés du marché. Tout cela passant inaperçu aux yeux du grand public.

« Le but, c’était que Choc toxique puisse servir de base d’information et de sensibilisation »

F-f.fr : Pourquoi un livre à deux voix ?

S.G : Parler seulement de moi ne servait à rien. Le but, c’était que Choc toxique puisse servir de base d’information et de sensibilisation. Ce qui m’est arrivé doit être utile aux autres femmes, aux jeunes filles mais aussi aux hommes et aux soignants.

C.C : En effet, tant que le choc toxique menstruel reste une question de “bonnes femmes”, cela n’intéresse personne. Imaginez un choc toxique lié au préservatif… on en parlerait dix fois plus.

F-f.fr : Qu’avez-vous appris sur vous-même tout au long de ce parcours au bout duquel vous vous remettez debout avec deux prothèses tibiales ?

S.G : Cela m’a fragilisée car j’ai énormément besoin d’aide dans tous les gestes de la vie quotidienne, mais aussi rendue plus sûre de moi. J’ai été, et je suis toujours, capable de soulever des montagnes.

« Parfois, j’ai eu peur que mes enfants aient honte de moi, mais ils sont très fiers »

F-f.fr : Votre mari et vos enfants ont joué un rôle essentiel à vos côtés. Comment va votre famille aujourd’hui ?

S.G : Bien. Mes enfants sont épanouis. Ils me chambrent, on rigole et on se centre sur les aspects positifs : au magasin, on ne fait pas la queue (rires). Parfois, j’ai eu peur que mes enfants aient honte de moi mais au contraire, ils sont très fiers. Avec Guillaume, mon mari, l’amour n’a pas changé.

F-f.fr : Le livre met notamment en avant un rapport parlementaire sur les règles, de février 2020. Il demandait, entre autres, davantage de clarté sur la composition des protections hygiéniques. Qu’en est-il ?

C.C : Pas grand-chose n’a évolué. L’un des seuls points positifs, c’est la prise en compte de la précarité menstruelle, avec des distributeurs dans les établissements scolaires, les centres d’hébergement ou en prison. La gratuité, c’est important mais sans expliquer comment bien utiliser tous les types de protection, c’est incomplet.

« En rééducation, la notion d’apparence n’existe pas et c’est à déplorer »

Pour Sandrine Graneau (ici avec son mari, Guillaume), l’apparence est essentielle dans la reconquête de l’estime de soi. Or, elle a peu de place pendant la rééducation. © Astrid di Crollalanza

F-F.fr : La nécessité de rester coquette revient plusieurs fois, tout comme vos baskets brillantes. Quel message voulez-vous porter ?

S.G : Quand j’ai découvert le monde du handicap, j’y ai constaté peu de place pour la féminité. En rééducation, la notion d’apparence n’existe pas et c’est à déplorer. On se retrouve constamment dans l’effort et le bien-être est oublié. Pourtant, c’est essentiel dans la reconquête de l’estime de soi. Il faut aussi des actes de soins pour vous apporter du confort.

« Pour l’instant, hélas, les portes des collèges et lycées restent closes »

F-f.fr : Vous écrivez : « Me voilà propulsée “porte-parole” du choc toxique un peu malgré moiMais témoigner pour informer d’autres femmes m’apparaît très important. » En matière de sensibilisation, quelles sont vos priorités ?

S.G : J’aimerais pouvoir aller dans les établissements scolaires pour en discuter avec les jeunes filles, les informer. Mais pour l’instant, hélas, les portes des collèges et lycées restent closes. Les règles, les protections, ce n’est pas une priorité et, puis, m’a-t-on dit : « Il ne faut pas leur faire peur»

C.C : Pourtant, il y a encore une grande méconnaissance de tout ce qui tourne autour des règles. Certaines jeunes filles mettent même des tampons sans les avoir, en anticipation, pour éviter la fameuse tache sur le jean, alors que ce n’est pas prévu pour cet usage.

« Merci d’avoir osé en parler ! »

F-f.fr : Vous avez dû renoncer à votre métier d’infirmière. À la fin du livre, vous videz d’ailleurs votre mallette de soins. Comment envisagez-vous de continuer à vous occuper des autres ?

S.G : J’ai fait le deuil du travail, mais après tout il n’y a pas que ça dans la vie. J’ai repris des activités bénévoles et je siège à la commission communale d’accessibilité de Montoir-de-Bretagne, la petite commune où je vis.

Faire-face.fr : Choc toxique est sorti le 21 avril. Quels retours avez-vous déjà eus toutes les deux ?

S.G : Quand mon histoire a été relatée, l’an dernier, dans des journaux, certains commentaires sur les réseaux sociaux ont été durs. C’était de ma faute, les femmes n’ont pas d’hygiène, tant pis pour elles. Depuis la sortie du livre, le principal message est : « Merci d’avoir osé en parler ! » avec une plus forte prise de conscience. Des femmes m’écrivent pour me raconter qu’elles ont, elles-aussi, subi un choc toxique.

C.C : La tendance à culpabiliser les femmes en la matière n’est pas nouvelle. Moi, j’aimerais avoir le retour de soignants, lire : « Je ne laisserai plus jamais une patiente avec des symptômes du choc toxique [maux de ventre, fièvre, …] sans lui demander si elle a ses règles, si elle porte une cup ou un tampon… » Dans ce domaine, il y a aussi d’énormes progrès à faire.

Comment 2 commentaires

J’ai lu avec beaucoup d’attention cet article. Merci pour cette première information. Je dis première car je n’avais jamais J’ai lu avec beaucoup d’attention cet article. Merci pour cette première information. Je dis première car je n’avais jamais entendu parler de choc toxique ! Ma femme si, mais assez vaguement.
Il est question dans ce dialogue de prothèses tibiales. Oui, je connais, car j’ai dû passer plusieurs mois dans un centre de rééducation, à Berck précisément – centre très connu pour la compétence de ses professionnels qui interviennent dans les domaines de l’appareillage des personnes amputées et de rééducation orthopédique -, et j’ai bien vu beaucoup de personnes dans les couloirs bosser avec leurs prothèses pour une bonne rééducation de la marche ! La gestion de l’image de soi et de l’acceptation de porter des prothèses, par contre, je devine combien ce doit être difficile, mais je n’en sais rien de plus.
Vous évoquez également quelques symptômes : maux de ventre, fièvre, … Des points de suspension qui ne disent pas ce que son réellement ces symptômes.
Mais je ne sais pas, réellement, ce que ces termes de “choc toxique” veulent dire. De quelles amputations il est question. Ceci-dit, je sais combien avoir des règles peut être très douloureux pour certaines filles et certaines femmes (j’ai 3 filles).
Ce serait bien d’en dire plus, non ? Oui, je devine que vous allez me conseiller alors de lire ce livre pour en savoir plus… Mais pour un papier qui entend sensibiliser les lecteurs de Faire Face, je pense que cela aurait pu être bien d’en dire davantage. Peut-être une reprise plus développée de cette interview est-elle prévue pour un prochain numéro de la revue papier ?
Comme vous, je constate que dans “le monde du handicap” il y a “peu de place pour la féminité (…) On se retrouve constamment dans l’effort et le bien-être est oublié”. Oui, c’est vrai. Mais comment aborder ces dimensions du handicap dans un centre de rééducation et de réadaptation ? En rééducation, on rééduque le corps. Et on réadapte la personne qui doit pouvoir devenir le plus autonome possible. Il n’est bien souvent pas question de rééduquer par l’esprit… La présence de psychologues et d’assistantes sociales – toujours très débordées… -, de sexologues, me paraît une réponse très insuffisante pour aider la personne à gérer leur estime de soi. Oui, ‘la notion d’apparence n’existe pas et c’est à déplorer’. Pourtant, c’est essentiel dans la reconquête d’une vie tellement touchée (parfois avec tant de traumatismes à gérer, auxquels on doit “faire face”…).
C’est la raison pour laquelle j’aimerais que la vie associative, dans un centre de rééducation, soit davantage prise en compte et développée. C’est uniquement dans ce cadre que des initiatives concernant la vie sociale pourraient se développer pous accompagner les personnes, faciliter l’information sur des sujets “de société” : rencontres, conférences, présentation de livres, faire de la promo des supports de com comme les revues, la présentation d’associations de malades et d’aidants (il y a tellement de familles qui passent dans ces établissements, il y a partout des “salons d’attente” !), des expos, etc… Seuls – et c’est déjà bien -, les représentants et autres conseiller.ère.s assurant la promotion des produits et matériels médicaux spécifiques pour personnes en situation de handicap ont régulièrement la possibilité et l’autorisation d’organiser quelques mini expos ou évènementiels au sein des centres de réadaptation. En partenariat avec les professionnels du plateau technique des établissements : les kinés, les ergos, etc.
Et dans un contexte de restrictions budgétaires, le secteur association qui, bien souvent, le premier touché : on licencie ou on ne remplace pas les salariés qui partent. Dommage ! Et scandaleux.

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