Dominique Farrugia : « Il est temps que les engouements politiques pour le handicap ne soient plus électifs »

Publié le 10 novembre 2021 par Claudine Colozzi
Dominique Farrugia
Avec son livre, Elle ne m'a jamais quitté, Dominique Farrugia souhaite éclairer les personnes valides sur ce que vivent les personnes handicapées. © Astrid di Crollalanza

Dominique Farrugia, 59 ans, vit avec la sclérose en plaques depuis une trentaine d’années. Si sa maladie était connue depuis longtemps, il s’était peu confié sur sa vie de personne en situation de handicap. Dans son livre Elle ne m’a jamais quitté*, le producteur et réalisateur ne cache rien de son quotidien avec cette maladie invalidante. Il en profite aussi pour interpeller les politiques, les inciter à en faire davantage pour les citoyens en situation de handicap.

Faire-face.fr : Votre livre commence comme un récit autobiographique et finit comme un programme électoral. Pourquoi ce choix de pointer les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicap et de rajouter des propositions ?

Dominique Farrugia : Je souhaitais parler de ma vie de malade, et de non malade. Ça fait trente ans que je vis avec la sclérose en plaques. J’ai presque plus vécu de temps avec elle que sans. Quand j’écris Elle ne m’a jamais quitté, je veux dire que la maladie se rappelle à vous chaque fois que vous l’oubliez.

Mais je voulais aussi raconter ce que les personnes valides ignorent. Les actes les plus banals de la vie quotidienne sont souvent des épreuves pour les personnes handicapées. J’avais envie de dire, voilà ce que je vis et voilà ce qu’on pourrait faire pour améliorer la vie des personnes à mobilité réduite. Comme je l’écris, il est temps que les engouements politiques pour cette cause ne soient plus électifs, donc factices.

La désocialisation est terrible. Rester chez soi isole et peu à peu, c’est une petite mort sociale. Je refuse absolument cela »

L’accès à l’emploi, une priorité

F-F.fr : Vous listez de nombreux thèmes, l’accessibilité bien sûr, mais aussi l’accès à l’emploi. Vous dites notamment que le travail a été le seul médicament valable pour vous. Pourquoi est-ce si important ?

D.F : L’accès au travail est fondamental pour que les gens soient dans la vraie vie  et des citoyens à part entière. La désocialisation est terrible quand on est en situation de handicap. Rester chez soi isole et peu à peu, c’est une petite mort sociale. Je refuse absolument cela. Et si au lieu de distribuer des amendes aux sociétés qui ne jouent pas le jeu, on donnait des primes à celles qui emploient plus de personnes en situation de handicap.

Et puis, si les personnes en situation de handicap n’accèdent pas à l’emploi, comment vont-elles faire pour vivre ? Si l’AAH reste dépendante des revenus du conjoint, nous sommes morts !

J’en ai marre qu’on fasse l’aumône aux personnes en situation de handicap. Je demande l’équité, pas moins, pas plus. »

F-F.fr : Vous pointez le fait que l’AAH ne permet pas de vivre dignement. Vous dénoncez la France comme un pays qui « fait la charité » aux personnes handicapées.

D.F : On nous regarde avec une sorte de gentillesse très moyenne. Les pays nordiques ont un devoir d’aider et non de faire la charité. J’en ai marre qu’on nous fasse l’aumône. Je demande l’équité, pas moins, pas plus. Ce qui se passe avec la conjugalisation de l’AAH, qui rend les personnes handicapées dépendantes des revenus du conjoint, est absolument inacceptable.

Éclairer les valides sur les problématiques des personnes handicapées

F-F.fr : Actuellement directeur de la société de production Shine Fiction, vous avez fait une belle carrière. Vous avez une bonne situation. Êtes-vous crédible pour vous faire le porte-parole des personnes en situation de handicap ?

D.F : On m’a déjà adressé ce type de remarque. J’ai croisé des gens qui ont vu mon potentiel et j’ai pu avoir une carrière.

Maintenant je prends la parole sans désir forcément de me poser en porte-parole. J’avais envie de pousser ce coup de gueule. Je veux éclairer les valides sur les problèmes des personnes en situation de handicap. On ne leur demande jamais directement leur avis. On parle souvent à leur place.

La question de l’assistance sexuelle est totalement taboue. Je pense qu’on ne peut pas l’assimiler à de la prostitution. »

F-F.fr : Vous abordez aussi la question du droit à une vie sexuelle. Vous vous engagez en faveur de l’assistance sexuelle. Vous n’allez pas vous faire que des amis, non ?

D.F : Cette question est totalement taboue. Je pense qu’on ne peut pas assimiler l’assistance sexuelle à de la prostitution. La loi du 13 avril 2016 ajoute de la peine à celle de personnes en situation de handicap. Je pense que la France doit regarder ce qui se pratique dans d’autres pays. Ce n’est pas une question de moyens, plus une question de volonté.

Parler du handicap invisible

F-F.fr : Dans le livre, vous citez des phrases très dures auxquelles vous avez été confronté, comme cette hôtesse de l’air qui vous assène : « Quand on est dans votre état, on ne voyage pas. » Comment se blinde-t-on face à un tel manque d’empathie ?

D.F : C’est peut-être juste de la maladresse, mais c’est vrai que certaines phrases font mal. Combien de fois on m’a dit : « Farrugia, il est toujours bourré ! » parce que j’avais des pertes d’équilibre dues à la maladie.

Parler du handicap invisible m’importe beaucoup. Au début de ma maladie, j’ai eu des périodes très difficiles où je ressentais beaucoup de fatigue, beaucoup de douleurs sans que je puisse le faire comprendre.  Ça a presque été formidable d’avoir une canne. Ça a matérialisé mon handicap. On n’imagine pas ce que subissent les personnes porteuses d’un handicap invisible, tiraillées entre l’envie de taire ce qui les atteint et les souffrances qu’elles ressentent.

* Elle ne m’a jamais quitté, Dominique Farrugia, Éditions Robert Laffont, 19 €.

Crédit photo : Astrid di Crollalanza

Comment 5 commentaires

Merci pour cet interview et merci à monsieur Farrugia pour ses réponses sincères et justes.
Je pense que je vais acheter cet ouvrage et le lire avec beaucoup d’assiduité.

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