Les cadres pensionnés d’invalidité perdent gros

Publié le 27 janvier 2023 par Franck Seuret
Le Gouvernement a introduit un nouveau plafond, 43 992 € bruts par an, que ne doit pas dépasser le total salaire + pension, cette dernière servant de variable d'ajustement. Un travailleur qui gagne plus de 3 666 € bruts par mois (2 750 € nets) perd donc sa pension d'invalidité.

L’instauration d’un plafond a entraîné la diminution voire même la suspension de leur pension d’invalidité pour 8 000 travailleurs handicapés. Depuis le 1er janvier, le cumul pension + revenus d’activité ne peut dépasser 3 666 € bruts par mois. Surtout, en cas de suspension, beaucoup perdent également leur prévoyance.

« Je marche au Lexomil. » Virginie B. a le moral en berne et des questions sans réponse plein la tête. Début 2023, sa Caisse primaire d’assurance maladie a suspendu le versement de sa pension d’invalidité : 1 000 € bruts de moins chaque mois. « Personne ne m’a prévenue, déplore la Parisienne, atteinte d’une maladie invalidante. Je l’ai constaté en consultant mes comptes bancaires. »

Comme elle, en janvier, quelque 8 000 travailleurs handicapés ont vu leur pension d’invalidité suspendue ou réduite. En cause, la réforme des règles régissant le cumul de cette pension avec des revenus d’activité. Le Gouvernement a en effet introduit un nouveau plafond, celui de la Sécurité sociale – soit 43 992 € bruts par an en 2023(1) – que le total salaire + pension ne doit pas dépasser, cette dernière servant de variable d’ajustement(2). Plus le salaire mensuel se rapproche de 3 666 € bruts (2 750 € nets), plus la pension diminue. Et à partir de ce seuil, elle est égale à 0 €.

Pour Isabelle L., qui travaille à 70 % d’un temps plein, la perte sèche s’élève à 1 000 € bruts. L’équivalent de 20 % de son salaire de 5 000 € bruts de directrice d’agence logistique. Même manque à gagner pour Jean-François L., cadre supérieur dans un organisme de protection sociale, salarié à 4/5e.  « C’est profondément injuste de changer les règles du jour au lendemain », s’insurge Isabelle L.

« Comme tout cadre supérieur, je gagne très bien ma vie »

Virginie B., directrice marketing associée dans un groupe pharmaceutique, gagne bien plus que ça. Mais, pour elle, la purge risque d’être encore plus sévère. Son salaire mensuel s’élève aujourd’hui à 6 000 € bruts, primes – variables – comprises, pour un mi-temps. À cela, s’ajoutait sa pension d’invalidité de catégorie 1 d’un montant moyen de 1 000 € bruts versée par la Sécurité sociale, plus sa rente mensuelle de 3 000 € bruts versée par sa prévoyance – privée.

« C’est vrai que, financièrement, je n’étais pas du tout à plaindre, j’en ai bien conscience, reconnaît Virginie B. Comme tout cadre supérieur, je gagne très très bien ma vie. Mais je cotise à la Sécurité sociale à hauteur de ce salaire. Et les échéances de mon gros crédit immobilier, elles, restent les mêmes. »

« Mes ressources auront donc plongé de 40 % »

Surtout, elle craint que sa prévoyance ne stoppe ses paiements. Son contrat prévoit, en effet, que la rente soit versée en complément de la pension. Certes, Virginie B. continue à remplir les critères médicaux ouvrant droit à cette dernière mais si le montant de sa pension est nul, la prévoyance va-t-elle continuer à payer la rente ? « Je n’aurai la réponse que dans quelques semaines. Mais j’ai bien peur de perdre aussi ces 3 000 €. Au total, mes ressources risquent de plonger de 40 % ! Ce serait catastrophique. »

« Si certains pensionnés ont pu conserver leur prévoyance, de nombreux autres l’ont perdue. Tout dépend des termes précis de leur contrat », précise Sophie Crabette, chargée de plaidoyer à la Fnath, l’association des accidentés de la vie. Et lorsque la prévoyance assurait en plus le remboursement des échéances de crédit immobilier, les conséquences financières de la suspension de la pension s’avèrent encore plus lourdes.

Générer des économies sur les pensions versées aux cadres supérieurs ?

Pourquoi l’instauration d’un plafond ? Interrogée au Sénat, la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées n’a donné aucune explication convaincante. « Plus de 60 000 pensionnés ont vu leur situation s’améliorer », a plaidé Geneviève Darrieussecq.

Il est vrai que deux autres mesures de la réforme favorisent le cumul pour les personnes ayant des ressources inférieures au plafond de la Sécurité sociale, comme Faire-face.fr l’expliquait dans un précédent article. Mais cela n’explique en rien la mise en place d’un nouveau plafond.

Reste donc une hypothèse. Elle vise peut-être à générer des économies sur les pensions versées aux cadres afin de financer, au moins en partie, le coût de la, légitime, mesure en faveur des ouvriers et employés. « Nous ne voyons pas d’autres explications possibles, avance Sophie Crabette. En revanche, les ministères concernés n’avaient vraisemblablement pas réalisé les effets induits. La perte de la prévoyance privée, notamment, souvent bien plus élevée que la pension. » 

« Financièrement, cela serait désormais plus intéressant d’arrêter de travailler ! »

Cette mesure pourrait avoir des effets contre-productifs, comme le pointe Isabelle L. « Financièrement, cela serait désormais plus intéressant d’arrêter de travailler !, explique la directrice d’agence logistique. Je récupérerais l’intégralité de ma pension. Et ma prévoyance, qui s’enclencherait alors, me permettrait de compenser le manque à gagner. »

« De nombreux travailleurs concernés sont dans le même cas de figure », ajoute Sophie Crabette. Ce serait quand même le comble que la nouvelle réglementation les pousse à cesser de travailler, alors que son objectif affiché était justement d’encourager l’emploi. « Nous devons veiller à faire en sorte que l’activité professionnelle soit toujours plus rémunératrice que l’inactivité. C’est le sens de cette réforme », claironnait Geneviève Darrieussecq, début décembre.

Le ministère de la Santé et le Conseil d’État saisis

La Fnath a saisi le Conseil d’État pour contester la légalité de cette mesure. Elle a également demandé au Gouvernement de prendre un décret modificatif. Devant le Sénat, le 12 janvier, la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées a simplement dit que le ministère de la Santé « étudie ces situations particulières afin de trouver les meilleures solutions »

(1) 41 136 €, soit 3 428 € par mois, en 2022.
(2) Un système de plafonnement existait déjà auparavant mais il était individualisé, car basé sur l’activité antérieure du pensionné. Le cumul pension + ressources ne pouvait être supérieur au montant de ses revenus avant sa mise en invalidité. Le montant de la pension baissait donc à concurrence du dépassement constaté.

Les pensionnés lésés ont créé un groupe sur Facebook, Les oubliés de la réforme 2022-257

Comment 5 commentaires

Merci pour cet article très explicite qui touche les cadres pas forcément supérieurs car tout dépend aussi du taux de temps de travail partiel.
En catégorie 1 la pension annuelle maximum est de 13000 euros par an donc si vous enlevez ce chiffre au plafond pass, ça fait 30000 euros brut maxi à percevoir de son travail soit 2500 euros brut pour un temps plein théorique. Donc a 80 % de temps partiel ça fait un revenu salarial maxi de 3200 euros brut pour atteindre la limite. Cette réforme ne touche pas que les cadres supérieurs de fait. En tout cas merci du relai

Merci de votre article et de sa clarté. Je suis cadre supérieur à 15 mois de ma retraite. Ce décret m’a fait perdre 54% de mes revenus. Plus de pension d’invalidité donc plus de rente d’invalidité. Reste le Credit de la maison et une fille (autiste asperger) à continuer d’accompagner. Que faire…. impossible de récupérer mon PERO ( ex art 83) car pas en invalidité 2. En mars nous ne pourrons plus nous assumer. Ma solution a cette heure est de commencer la démarche vers l’invalidité 2 afin de récupérer du capital du PERO pour tenir les 15 mois qui me sépare de ma retraite. En aurais-je le courage et le temps administratif n’est pas le temps horaire… cotiser toute sa carrière pour toutes et tous, co-cotiser avec son entreprise une assurance privée au « cas ou » et ce voir maintenant tout refuser…. Si cette circulaire en est la cause, la CPAM en est aussi l’actrice et les Prevoyances sont aussi complices. Faire de l’argent sale sur le dos de la maladie c’est juste un monde abject qui ne m’intéresse pas et qui me dégoûte de l’Humanité.
Merci pour votre article

N’y aurait-il pas une erreur dans l’article ?
En effet le salaire de comparaison est bien le PASS si le salaire de référence dépasse le PASS.
Dans ce cas le dépassement du PASS ne doit pas être supérieur à 2 fois la pension.
Il est donc possible de dépasser le PASS dans la limite d’un dépassement = 2 fois la pension.

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