Établissements et services médico-sociaux : les salariés manquent, les résidents trinquent

Publié le 7 février 2022 par Franck Seuret
21 % des structures ont fermé des places, et 8 %, des services ou des établissements entiers. Les solutions de répit, notamment, font les frais de cette politique du sauve-qui-peut. Les accueils de jour également. © Franck Seuret

Les établissements et services médico-sociaux sont confrontés à une pénurie massive de personnel. En cause, des raisons structurelles et les incohérences de la récente politique de revalorisation salariale. Résultat : une dégradation des conditions d’accueil et d’accompagnement, voire même des fermetures de places.

« Un désarroi et un stress terribles ! » L’indignation pointe encore dans la voix de Nathalie Été. En septembre 2021, l’association qu’elle préside, les Papillons Blancs de Bourgogne du Sud, a dû se résoudre à une décision inimaginable quelques semaines auparavant : transférer en Éhpad, dans l’urgence, six résidents handicapés d’une maison d’accueil spécialisée (Mas). « Du jour au lendemain, ils ont perdu tous leurs repères. L’un d’entre eux est d’ailleurs décédé la semaine suivante. »

Faute de personnel, la Mas s’est en effet retrouvée contrainte de diminuer sa capacité d’accueil d’une dizaine de places. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée. « Sur 450 postes équivalent temps plein dans notre association, 60 sont vacants », pointe Thierry Fromont, son directeur général. Et de détailler : 14 aides-soignants, 15 aides médico-psychologiques, 9 infirmiers, 5,5 surveillants de nuit, 4,5 éducateurs spécialisés… « Nous n’avons jamais connu une telle pénurie, qui touche tous les postes », s’alarme-t-il.

Places de répit fermées

Même constat, en Savoie, où Maryline Gal dirige des établissements pour personnes polyhandicapées de l’Apei. Les conséquences en sont, là aussi, douloureuses pour les usagers et leurs proches.

Fin 2021, les six unités de l’institut médico-éducatif ont fermé leurs portes à tour de rôle, une semaine chacune. Les parents ont donc dû s’organiser pour s’occuper de leurs enfants à temps plein, sept jours durant. Et depuis novembre, l’IME n’assure plus aucun accueil de répit, le week-end et durant les vacances scolaires.

Cinq pour cent des postes vacants

« Les employeurs du secteur sanitaire, social et médico-social associatif vivent des difficultés structurelles de recrutement et d’attractivité » ne peuvent que constater les organisations professionnelles. Le baromètre de la Fehap et de Nexem, rendu public mi-janvier, fait état de 30 000 postes vacants sur les 610 000 de la filière. Soit cinq pour cent des effectifs.

Intérimaires et personnels non qualifiés

Pour faire face, les associations ont recours aux heures supplémentaires, mais aussi à l’embauche d’intérimaires, voire au recrutement de personnels non qualifiés. « Cela met en danger les personnes accueillies, déplore Maryline Gal. Donner à manger à des enfants ayant des troubles de la déglutition ne s’improvise pas. Chaque cas est différent. Il faut bien les connaître. »

« Cette instabilité est perturbante pour les résidents, qui ont besoin de repères, ajoute Nathalie Été. Je sens que mon fils, qui vit en foyer de vie, est davantage angoissé. Ce n’est pas étonnant lorsqu’on sait que certains jours, il n’y a que des remplaçants. Comment réagiraient-ils lors d’une de ses crises d’épilepsie qui sont spectaculaires ? »

Admissions gelées, places fermées

Par ailleurs, il a fallu réduire la voilure. Les admissions sont fréquemment gelées. Selon le baromètre Fehap-Nexem, 21 % des structures ont fermé des places, et 8 %, des services ou des établissements entiers. Les solutions de répit, notamment, font les frais de cette politique du sauve-qui-peut. Les accueils de jour également. Tout comme les ateliers occupationnels organisés dans les structures.

« Nos résidents ont perdu des acquis »

« Le manque de personnel nous oblige à nous recentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les actes de la vie quotidienne et de soins, insiste Pierre-Yves Lenen, directeur du développement et de l’offre de service d’APF France handicap. Mais la qualité de vie ne se résume pas à se lever, faire sa toilette, manger… »

« Les déficits d’accompagnement et d’activités ont des conséquences dramatiques. Nos résidents ont perdu des acquis », résume Thierry Fromont, des Papillons Blancs de Bourgogne du Sud.

Des salariés mal payés mais utiles

La crise de l’emploi puise ses racines profondes dans la faiblesse structurelle des rémunérations. Un manque d’attractivité financière auparavant, en partie compensé par la gratification symbolique d’exercer un métier ayant une véritable utilité sociale. Mais les réformes engagées depuis une dizaine d’années – la pression au regroupement de structures et à la mutualisation des moyens – ont mis à mal ce fragile équilibre.

Une charge de travail plus importante et plus complexe

Par ailleurs, « la transformation de l’offre médico-sociale, impulsée par les pouvoirs publics, pour aller vers une société plus inclusive, a modifié les caractéristiques des populations accueillies, avance Luc Gateau, président de l’Unapei. Dans les IME, notamment, qui accompagnent désormais quasi-exclusivement des jeunes très peu autonomes ». Les missions des professionnels se seraient donc complexifiées. « Sans que les moyens financiers suivent », poursuit-il.

Les contraintes liées à la crise du Covid-19 – isolement des résidents, suspension des sorties… – n’ont rien arrangé. Même si le phénomène est resté marginal, l’obligation vaccinale, imposée en août 2021 aux professionnels des ESMS, a même conduit à des démissions, des arrêts de travail ou à des suspensions du contrat de travail.

Une prime à géométrie variable

Surtout, la gestion des revalorisations salariales par le Gouvernement a mis le feu aux poudres. La prime Ségur de 183 € n’a d’abord été octroyée, en décembre 2020, qu’aux seuls salariés des établissements de santé et des Éhpad.

Il aura fallu attendre presque un an – novembre 2021 – pour qu’elle soit étendue aux ESMS. Et encore, uniquement aux soignants. Les métiers de l’accompagnement (éducateurs, etc.), eux, en restent exclus. « Il y a un vrai problème de méthode, dénonce Pierre-Yves Lenen. Cette double scission – sanitaire/médico-social, puis soignants/socio-éducatifs – n’a pas de sens, sinon d’un point de vue purement comptable. »

L’hémorragie, puis les tensions

Les conséquences ont été douloureuses pour la filière. « On a d’abord subi une grosse hémorragie de personnels soignants partis vers les hôpitaux, précise Thierry Fromont. Et maintenant, il nous faut gérer les tensions internes que provoque la différence de traitement entre des salariés travaillant ensemble. »

Une grand-messe le 18 février

Ces sujets devraient figurer à l’ordre du jour de la conférence nationale des métiers du travail social. Elle se déroulera le 18 février. « Ces métiers sont en crise », a reconnu Emmanuel Macron, début janvier, en ouverture du congrès de la fédération des acteurs de la solidarité. Le constat est posé. Reste à mettre en œuvre les solutions. 

Les enfants manquent de soins

« Le fossé entre les besoins de nos enfants et les soins reçus se creuse dangereusement. » Voilà, la conclusion d’Handi-Actif, un collectif de parents, suite aux réponses de 300 d’entre eux à un questionnaire sur la rééducation en établissement ou via les Sessad, lancé au dernier trimestre 2021. 36 % ne bénéficiaient pas d’orthophonie ; 30 %, d’ergothérapie ; 19 %, de psychomotricité… Quant à la kiné, un sur trois n’avait aucune séance ou une seule.

Comment 3 commentaires

Nous subissons la pression de la MAS qui accueille notre fils de 26 ans, polyhandicape, en accueil de jour pour transformer son contrat de séjour en accueil séquentiel pour libérer des places. Ce qui implique pour nous un retour à domicile partiel et pour lui une diminution des prises en charge paramédicales. Nous avons dû faire appel à un avocat pour bloquer une sortie complète et obtenir un nombre d’heures suffisant (PCH) pour monter un habitat partagé avec le concours d’un SAAD privé (avec un reste à charge) faute de personnel formé sur les SAAD publics. Nous avons la chance de pouvoir faire face financièrement. Comme je le dis souvent : ”le handicap est un luxe dans notre société actuelle”. Malheureusement tout le monde ne peut pas forcément y faire face pour essayer de faire vivre son enfant dans des les meilleures conditions possibles. Même en payant, on galère !

Bonjour,
J’ai récemment entendu parler de “quotas” de personnel dans les établissements médico-sociaux. C’est à dire un nombre de soignants/accompagnants par résident. Apparemment différent selon l’établissement.
Où peut-on trouver cette information ?

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