[En salles] État limite : chronique d’un hôpital public sur le fil

Publié le 30 avril 2024 par Emma Lepic
C’est lors d’un stage pendant ses études, au cours duquel il découvre sa « facilité à entrer en lien » que Jamal Abdel Kader décide de choisir la psychiatrie, lui qui au départ voulait être chirurgien. © Pénélope Chauvelot

Dans son documentaire, en salles le 1er mai, le réalisateur Nicolas Peduzzi adopte le point de vue d’un soignant du service public. Jamal Abdel Kader, 34 ans, y joue les funambules. Seul psychiatre de l’hôpital Beaujon de Clichy, dans les Hauts-de-Seine (92), il doit en effet sans cesse conjuguer l’urgence de l’hôpital et le temps long nécessaire de l’écoute des patients.

Pour l’un, il écarte l’hospitalisation, au vu des « conditions d’accueil dégradées ». Auprès d’un autre, il s’assure : « Vous avez mangé quelque chose ? Je vais vous trouver une cigarette. » Pour aider une troisième, outre les entretiens qu’il lui accorde à elle, hospitalisée, il reçoit aussi ses deux sœurs, pour tenter de tricoter à nouveau des liens familiaux.

Psychiatre, une vocation

Le documentaire État limite suit Jamal Abdel Kader, jeune psychiatre, unique rescapé d’un ancien service de psychiatrie de l’hôpital Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine). Syriens, ses parents étaient, eux aussi, médecins. Ils travaillaient en hôpital public. Leur fils a choisi de se mettre dans leurs pas. Par vocation.

Il a d’abord voulu être chirurgien, comme son père. Puis, il raconte avoir changé de spécialité et choisi la psychiatrie après avoir effectué un stage durant ses études. Il découvre alors sa « facilité à entrer en lien ». Ce que ce long métrage illustre parfaitement. En effet, il le montre bienveillant et à l’écoute des patients violents ou violentés, mais toujours malmenés par la vie, qui défilent aux urgences et sous l’œil de la caméra.

Le manque de moyens condamne-t-il à mal soigner ?

Le documentariste, autant que le psychiatre, s’attachent à ne formuler aucun jugement sur les situations des patients. En revanche, le manque de moyens de l’hôpital est abondamment décrit et déploré. Avec en filigrane toujours la même question, lancinante : une institution malade peut-elle continuer de prendre soin ?

Elle semble en tout cas rendre malade les soignants eux-mêmes. En témoigne un aide-soignant, qui vient se confier à ce psychiatre. La fatigue de Jamal Abdel Kader, de plus en plus palpable au fil du film, l’atteste aussi.

Les soignants sont-ils complices ?

Quelque peu didactique, État limite livre une vision pessimiste de l’avenir de l’hôpital public en général, et de la psychiatrie en particulier. Jamal Abdel Kader n’oublie jamais qu’il est filmé et ne se départit à aucun moment d’un timbre de voix très pédagogique. Il démontre. Voire se met en scène. Y compris lorsqu’il s’adresse à la jeune interne, qu’il forme.

On regrettera le manque d’émotion, le caractère implacable du message porté, l’intellectualisation du propos, finalement et paradoxalement assez désincarné. Certes, on suit un psychiatre mais il cache son empathie. Toutefois, ne serait-ce que pour les questionnements qui taraudent Jamal Abdel Kader, le film vaut d’être vu. En particulier celui-ci : les soignants qui acceptent de travailler dans ces conditions inacceptables deviennent-ils complices de la maltraitance parfois infligée à leurs patients ?

État limite, – Nicolas Peduzzi – 1h42 – en salles le 1er mai.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de Confidentialité de Google et l'application des Conditions d'Utilisation.