Handicap et coronavirus : sur le front de l’Est, les établissements en première ligne

Publié le 1 avril 2020 par Franck Seuret
Les personnes malades sont à l'isolement total, dans leur chambre. Assistées par des salariés devant respecter un protocole strict. ©Franck Seuret

Le Grand Est est la région actuellement la plus touchée par le Covid-19. Dans leurs établissements accueillant des personnes handicapées, les associations gestionnaires font face. En s’adaptant aux moyens disponibles et au handicap des résidents.

Tous les jours, à 16h00, les chiffres tombent sur le bureau de Pierre Salachas. Les remontées de la soixantaine d’établissements et services d’APF France handicap dans le Grand Est permettent au directeur régional de l’association de connaître le nombre de personnes atteintes du Covid-19. Parmi les 2 800 personnes en situation de handicap accompagnées, qu’elles résident en structures ou vivent à domicile. Mais aussi parmi ses 1 000 salariés. Soit quelque 3 800 personnes au total.

Un taux d’hospitalisation sept fois plus élevé qu’en Bretagne

Le 31 mars, le Grand Est comptait 4246 hospitalisations pour Covid-19.
Le 31 mars, le Grand Est comptait 4 246 hospitalisations pour Covid-19.

Aujourd’hui, 82 présentent des symptômes pouvant évoquer le tableau clinique du Covid-19. Autant d’usagers que de salariés. Trois sont hospitalisées. Heureusement, l’association ne déplore aucun décès.

« Même s’il faut bien avoir conscience que nous ne sommes pas arrivés au pic, ou au plateau, épidémique, la situation est plutôt conforme au contexte sanitaire dans la région, fortement touchée », précise Pierre Salachas.

Le 31 mars, 4 246 personnes étaient hospitalisées dans le Grand Est, qui regroupe l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine. Soit 7,7 habitants pour 10 000. C’est le taux le plus élevé de France. Sept fois supérieur à celui de la Bretagne ou de la Nouvelle Aquitaine, les plus épargnées.

Des stocks d’équipements limités

« Ce suivi épidémiologique est un outil de pilotage essentiel, explique Pierre Salachas. Il nous permet d’affecter nos personnels et nos moyens matériels au fur et à mesure de l’évolution des territoires atteints. » La gestion des masques, charlottes, surblouses… se fait au niveau régional. Les attributions sont les plus précises possibles car les stocks sont limités. Le port du masque n’est donc pas systématique dans les établissements.

Conformément aux directives de l’ARS, tous les salariés travaillant auprès de résidents malades ou présentant des symptômes, ou eux-mêmes symptomatiques, en sont toutefois équipés.

Le taux d’encadrement dans les établissements reste stable

Pour les moyens humains, l’association dispose de personnels en réserve. Elle a en effet réduit, dès le début du confinement, l’activité des établissements ambulatoires ou n’assurant pas d’internat. Une consigne gouvernementale. Et celle des services socio-éducatifs et de soins, qui accompagnent  des enfants et des adultes vivant à domicile, s’est ralentie. Même s’ils continuent à assurer un suivi téléphonique. Voire des interventions sur place lorsque la situation l’exige.

« Selon les besoins, nous affectons ces salariés dans les établissements pour remplacer leurs collègues absents, car malades ou en arrêt, précise Pierre Salachas. Le taux d’encadrement est resté le même. Ce qui nous permet de continuer à garantir le niveau de prestations habituel. Pour les résidents, rien n’a bougé au niveau de l’aide à la toilette, à l’habillement… »

Repas en solo dans les chambres

Les résidents passent leur journée en chambre. ©Franck Seuret.

Mais, pour le reste, le changement est radical. Progressivement, depuis l’instauration du confinement, les mesures se sont durcies. Ni sorties, ni de visites bien sûr. Et depuis quelques jours, les pensionnaires doivent rester dans leur chambre. Même pour y manger.

Ils ont seulement le droit de sortir, à tour de rôle, pour prendre l’air. Voire s’accorder un petit tour dans le hall, le seul lieu où ils peuvent faire de rares rencontres, tout en restant éloignés d’au moins un mètre. Toutes les animations ont été suspendues.

Quant aux personnes malades, elles sont à l’isolement total, dans leur chambre. Assistées par des salariés devant respecter un protocole strict. « Dans les établissements où le virus n’est pas encore apparu, nous envisageons de regrouper les malades dans une même partie d’étage, par exemple, ajoute Pierre Salachas. Cela faciliterait la tâche des soignants, qui n’auraient pas à aller d’un bout à l’autre du bâtiment. »

La moitié des foyers de l’Adapei du Doubs touchés

Dans le Doubs, département limitrophe au Grand Est, les effets de la crise se font aussi sentir. « Plus encore sur les territoires frontaliers où la prévalence du Covid-19 est plus élevée, souligne Franck Aigubelle, le directeur général de l’Adapei du Doubs, qui gère une soixantaine d’établissements et services. Mardi 31 mars, la moitié de nos foyers, qui accueillent des personnes handicapées mentales, comptaient des cas confirmés ou symptomatiques. » Et quelques décès sont déjà dus au virus.

Confinement en chambre impossible, selon les déficiences

Le confinement est bien évidemment de rigueur. « Mais excepté pour les malades, nous pouvons difficilement imposer aux résidents de rester dans leur chambre toute la journée. Pour beaucoup d’entre eux, vu leurs déficiences, cela serait insupportable. »

Priorité au respect des distances de sécurité. Les repas, par exemple, se prennent, dans la mesure du possible, en petits groupes de 4 à 5 personnes éloignées les unes des autres. Même chose pour les rares activités maintenues.

Masque chirurgical ou en tissu, selon les situations.

Un masque en permanence

Par contre, ici, depuis le lundi 23 mars, tous les salariés portent un masque en permanence. Chirurgical, puisé dans les réserves, ou en tissu, acheté auprès d’un fabricant français. « Cette mesure participe à éviter que les salariés, qui auraient pu contracter le virus à l’extérieur mais seraient asymptomatiques, propagent le virus l’intérieur, précise Frank Aigubelle. Et puis nous avons imposé la prise de température à l’entrée. » Le port du masque, rassurant, contribue aussi à limiter l’absentéisme.

Accueil de jour pour les enfants handicapés des soignants

Dans le même esprit, les enfants handicapés des personnels de l’association peuvent être accueillis dans les établissements de jour. Tout comme ceux des soignants ne travaillant pas à l’Adapei. Et quelques jeunes garçons et filles, suivis par l’association, dont le confinement permanent à la maison devenait très problématique. « Nous avions suspendu l’accueil dans ces structures le 16 mars, sur ordre du gouvernement. Mais nous avons repris l’accueil partiel depuis la semaine dernière, par petits groupes. »

Pas formés ni équipés pour les soins palliatifs

Tous les patients seront-ils admis à l’hôpital ?

Un autre point inquiète Franck Aigubelle : l’admission des patients à l’hôpital. « Pour l’un d’entre eux, positif, l’hôpital nous a déjà prévenu qu’ils ne pourraient pas le placer en réanimation. » Motif avancé : il présenterait trop de facteurs de risques, à savoir son âge et ses autres problème de santé.

« L’Agence régionale de santé nous a encouragés à nous préparer à accompagner à la fin de vie nos résidents malades, poursuit Franck Aigubelle. Mais nos professionnels ne sont pas formés aux soins palliatifs. Il faut tout faire pour éviter d’en arriver à cette extrémité. »

Le point au niveau national

APF France handicap tient un point quotidien de l’état de santé des 30 000 résidents ou usagers handicapés qu’elle accompagne et de ses 15 000 salariés. Sur ces 45 000 personnes, 300 présentent des symptômes pouvant évoquer la tableau clinique du Covid-19. Sept sont hospitalisées. Et cinq sont décédées.

L’Unapei comptabilisait plusieurs dizaines de décès, selon son président Luc Gateau joint par faire-face.fr. Les 90 000 salariés de l’Unapei accompagnent 200 000 personnes handicapées. 

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