Série 1/5 Droits des femmes – Tiana, victime de violences conjugales : « Monsieur a profité de ma vulnérabilité, en prédateur. »

Publié le 4 mars 2024 par Franck Seuret
« Notre fille est née, mais la situation ne s'améliore pas. Gifles, coup de poing et viols se poursuivent. A Noël 2018, je vais passer quelque jours en famille. Et là, je ressens enfin la force de dire stop. Je décide de rester chez mes parents.» © Pixabay/geralt

Pendant quatre ans, Tiana* a vécu sous la coupe d’un homme qui l’insultait, la frappait et la violait. Après la naissance de leur enfant, cette jeune femme autiste, aujourd’hui âgée de 25 ans, a trouvé la force de le quitter et de dénoncer ces violences, en saisissant la justice à plusieurs reprises. Vendredi 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes. Faire-face.fr donne la parole à des femmes en situation de handicap qui ont osé faire valoir les leurs.

« Pourquoi est-ce que j’ai accepté son invitation ? Nous sommes en 2015. J’ai 16 ans et je vis à Tours. Il vient de m’aborder dans la rue. On échange quelques phrases. Il me dit qu’il a 21 ans et me propose de continuer à discuter chez un ami.

Le lendemain, je l’y rejoins. Là, il devient pressant. Je le repousse. Il m’enserre, m’enlève mes vêtements de force et me viole. Puis il m’assure qu’il m’aime et je m’entends lui répondre que moi aussi.

Nous nous revoyons. J’ai relégué ce viol dans un coin de ma tête. Comme s’il n’avait pas existé. Mais les violences reviennent très vite. Des gifles. Des insultes. Et l’isolement social. Monsieur est jaloux. Je coupe les ponts avec les rares personnes que je côtoyais. Sauf mes parents, chez lesquels je vis.

Je cache mon mariage à ma famille

J’ai 18 ans. Je viens d’avoir mon bac. Monsieur décide que nous allons nous installer à Bordeaux. Je m’inscris en première année à la fac de médecine. Lui ne travaille pas. Nous vivons de l’argent que mes parents me versent. Comme il est en situation irrégulière sur le territoire français, nous nous marions, à sa demande. Je dois cacher mon mariage à ma famille.

Monsieur pique de plus en plus de crises, jusqu’à cinq ou six par jour, de plus en plus violentes. Il m’insulte, me frappe, et m’oblige à avoir des relations sexuelles. Je m’y oppose de moins en moins car je sais que mes refus conduiront à des coups.

J’accepte de déposer une première plainte

Fin 2017, je tombe enceinte. Les violences physiques s’arrêtent pendant deux mois… jusqu’à une nouvelle crise. Je cours me réfugier dans des bureaux tout proches, où les salariés me convainquent d’appeler la police. Sous la pression des agents, j’accepte de porte plainte.

De retour à l’appartement, Monsieur me supplie de la retirer. Il pleure. Il me promet qu’il va aller voir un psychologue.Il ne tiendra évidemment pas ses promesses. Au contraire, il me menace de mort. Alors, je cède.

Au tribunal, où nous sommes convoqués suite à ma plainte, je le défends. J’assure que je me suis frappée moi-même pour justifier les coups. La juge n’est pas dupe. Monsieur écope d’une condamnation avec sursis.

Je porte plainte de nouveau, Monsieur écope de six mois de détention

Notre fille est née, mais la situation ne s’améliore pas. Gifles, coup de poing et viols, juste à côté du bébé, se poursuivent. À Noël 2018, je vais passer quelque jours en famille. Et là, je ressens enfin la force de dire stop. Je décide de rester chez mes parents.

Bien sûr, Monsieur s’accroche. Il me harcèle de messages. Un jour, il m’agresse physiquement, à l’université. Je dépose une deuxième plainte. Puis une troisième trois mois plus tard car il n’a pas respecté l’interdiction que le juge des affaires familiales lui avait faite de ne pas me contacter. La nouvelle audience, mi-2019, se solde par six mois de détention.

J’ai documenté toutes les violences subies

Depuis, j’ai suivi une thérapie pour soigner les symptômes du stress post-traumatique que cette relation violente avait déclenchés. J’avais peur de sortir de chez moi, de conduire… Cette prise en charge médicale m’a aussi permis de faire remonter tous les épisodes enfouis dans ma mémoire. Y compris le premier viol et les suivants.

J’ai documenté toutes les violences que j’avais subies, avec les photos des blessures que j’avais prises. J’ai ressorti les SMS que Monsieur m’avait envoyés. Et en mai 2020, j’ai déposé une nouvelle plainte pour violences conjugales habituelles, menaces de mort et viols.

J’ai fait appel après un non-lieu pour les viols conjugaux

En août dernier,  le juge d’instruction a rendu une ordonnance qui va déboucher, prochainement, sur un procès pour les violences et les menaces de mort. En revanche, il a conclu à un non-lieu pour les viols conjugaux. C’est effectivement le plus difficile à prouver mais j’ai fait appel. Je veux que Monsieur soit jugé aussi pour ces viols à répétition.

Durant l’instruction, il a fait de la détention provisoire. Il est désormais en liberté mais assigné à résidence, avec interdiction de venir à Tours. Il me laisse tranquille.

J’ai mis des mots sur ce qui m’était arrivé

Moi, je vais mieux. Après avoir passé ma licence de psycho sans parvenir à me rendre en cours, j’arrive à aller à la fac pour suivre mon master 2 de santé publique. Surtout, j’ai mis des mots sur ce qui m’était arrivé. Je sais pourquoi j’ai suivi cet homme, il y a huit ans.

Il y a un an, mes troubles du spectre de l’autisme ont été diagnostiqués. Cela éclaire beaucoup de choses dans mon parcours. Depuis mon plus jeune âge, les interactions sociales me mettent en difficulté. Je ne comprends pas ce que les autres attendent de moi. Je ne sais pas comment je dois me comporter. Souvent, j’agis par imitation. Monsieur a profité de ma vulnérabilité, en prédateur. »

* Le prénom a été modifié.

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