Cannabis médical : inquiétudes sur la disponibilité à l’issue de l’expérimentation

Publié le 12 mars 2024 par Emma Lepic
Les laboratoires pharmaceutiques ont fourni gratuitement les produits les deux premières années de l’expérimentation. Aujourd’hui, ils menacent de ne plus le faire car le prix proposé par l’État est inférieur de 20 à 70 % à ce qui leur avait été annoncé.

Lancée en 2020, initialement pour deux ans, l’expérimentation du cannabis médical se termine le 26 mars. La plante a montré qu’elle apportait des bénéfices à nombre de patients traités. Dès lors, une période de transition est prévue jusqu’au 31 décembre avant une autorisation temporaire de cinq ans. Mais les produits pourraient manquer.

« Sur le plan légal, l’accès au cannabis médical est acquis, au moins pour cinq ans », explique Gérard Mick, neurologue spécialiste de la douleur au CHU de Grenoble. Le plan de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024 prévoit en effet une phase de transition de mars à décembre, avant une autorisation temporaire de cinq ans à compter de 2025.

Mais de nombreuses questions demeurent. Cinq pathologies étaient incluses dans l’expérimentation. Est-ce que seuls des patients qui en sont porteurs pourront accéder au cannabis médical ? Sera-t-il délivré seulement par les hôpitaux ou aussi via la médecine de ville ? Sera-t-il remboursé à 100 % ? « Diverses inconnues pèsent sur les médecins, les usagers, et les industriels », déplore Gérard Mick.

Des bénéfices avérés

D’autant que l’expérimentation a prouvé que la plante pouvait offrir des bénéfices pour nombre de patients. Un rapport d’évaluation daté de 2023 de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (https://ansm.sante.fr/), non publié mais que Faire-face.fr a pu consulter, indique ainsi une « efficacité cliniquement significative du cannabis médical dès trois mois de traitement et qui se maintient dans le temps chez des patients réfractaires aux thérapies accessibles dans les cinq indications ».

Ces indications incluses dans l’expérimentation étaient les douleurs neuropathiques réfractaires aux traitements médicamenteux ou non accessibles, certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes, les situations palliatives, certains symptômes rebelles en oncologie, et la spasticité douloureuse liée à la sclérose en plaques (Sep) ou à d’autres pathologies du système nerveux central.

Gérard Mick nuance. Il préfère parler de bénéfices significatifs plutôt que d’efficacité, car elle n’a pu être démontrée scientifiquement que dans certaines indications. Il ajoute aussi que les bénéfices et l’efficacité seraient plus faciles à mettre en évidence si le cannabis médical n’était pas uniquement prescrit en dernier recours.

Formats et prix des produits : un double risque

Mais malgré le consensus sur les bienfaits du cannabis disponible sous différents dosages, ceux-ci pourraient manquer au moment de l’ouverture plus large.

Premier problème : les formats de délivrance ne seront pas tous disponibles. Ils étaient dispensés sous forme d’huiles et de fleurs. L’industriel qui fournissait les fleurs s’est retiré de l’expérimentation, l’État ayant d’ores et déjà décidé qu’il ne permettrait pas la prescription de cannabis sous cette forme. 9 % des patients inclus dans l’expérimentation sont dès maintenant concernés.

À l’image de Jean-Luc Chanel, 62 ans, atteint d’une Sep progressive diagnostiquée en 2005. Il a été intégré à l’expérimentation dès 2021. Il utilisait en plus des huiles qu’il prend matin et soir des fleurs quand il avait besoin d’un effet rapide pour lutter contre une douleur.

Deuxième enjeu : la fixation du prix. Les laboratoires pharmaceutiques ont fourni gratuitement les produits les deux premières années de l’expérimentation. Ensuite, une indemnisation a été fixée. Et fin février, ils ont protesté par le biais du syndicat qui les représente, l’Uivec : « Le prix proposé par l’État est de 20 à 70 % inférieur à ce qui nous avait été annoncé dans le cadre du PLFSS 2024 », explique son président, Ludovic Rachou. Ils menacent donc de ne plus fournir les produits.

Véritable médicament ou système D ?

Et à compter de 2025, s’inquiète Gérard Mick, si ce produit n’obtient pas rapidement le statut de vrai médicament, sur quelles bases le rembourser aux patients ? Et comment s’assurer de la précision des dosages et de la qualité des produits fournis par les industriels ?

« Si le cannabis médical vient à manquer, je m’approvisionnerai, comme avant, en CBD dans un magasin bio, anticipe Jean-Luc Chanel. Ce n’est pas un produit miraculeux mais c’est une bonne aide. Je ne me réveille plus toutes les deux heures. Je suis beaucoup moins spastique, ce qui facilite mes transferts. Mes mains ne se referment plus, mes orteils ne se replient plus comme des griffes. J’ai un meilleur équilibre. Plus de tonus. Et j’ai diminué ma consommation d’autres médicaments. »

Comment 1 commentaire

Rendre la vie moins difficile à des malades, c’est bien le but d’un médicament. Qui remettrait en cause la consommation de doliprane? ou les antibiotiques dont l’efficacité diminue dans certains cas. Ce qui est incroyable avec le CBD ce n’est pas son efficacité ou les bénéfices significatifs qui sont en cause, c’est acquis, mais c’est bien la capacité à le fournir aux patients. Cela montre une fois de plus qu’un grand service publique du médicament est nécessaire. Un service capable de fabriquer et de dispenser le CBD thérapeutique chaque fois qu’un-e médecin décide d’en prescrire à un-e patient-e.

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