Santé mentale : « On se soigne pour reprendre le cours de sa vie »

Publié le 12 octobre 2023 par Corinne Manoury
Partir des projets pour proposer du soin, selon la temporalité de l'usager et en accordant les points de vue de son entourage et des soignants. Pour Nicolas Rainteau, telle est la clé du rétablissement en santé mentale. Pour voguer vers de nouveaux horizons...

Alors que depuis le 9 et jusqu’au 22 octobre se tiennent les Semaines d’information sur la santé mentale , focus sur la notion de rétablissement avec le livre Soyez réhab de Nicolas Rainteau. À l’aide d’un langage plutôt cash, de schémas et de situations concrètes, le psychiatre, qui dirige le centre Jean Minvielle à Montpellier, y explique en quoi consiste cet accompagnement visant à apprendre à vivre avec un trouble de santé mentale. Et plaide pour une psychiatrie plus accessible, pragmatique et utile aux usagers.

Ne jamais oublier le bon sens et la personne derrière le patient, prône Nicolas Rainteau, psychiatre. Ici, au cours d’une conférence TEDx.

Faire-face.fr : En préambule de votre “guide pratique de réhabilitation psychosociale”*, vous écrivez que votre équipe a fait de votre rêve une réalité. Quel était-il ?

Nicolas Rainteau : Faire de la psychiatrie comme je la décris dans Soyez réhab. C’est-à-dire motivée par les gens et uniquement orientée vers eux. Comprenant non seulement un rétablissement médical mais aussi un rétablissement personnel. Une psychiatrie qui a du sens, autant pour les soignants que pour les personnes auxquelles elle s’adresse.

Nous sommes encore trop dans une pratique de “sachants”. Pour moi, il s’agit de rééquilibrer les rapports. De se demander si l’on est utile aux patients.

Les demandes des usagers avant tout

F-f.fr : Une psychiatrie qui favorise la participation des usagers, qu’est-ce que ça signifie ?

N. R : L’idée est de ne fonctionner qu’à partir des demandes des usagers. De lever les obstacles entre eux et leurs projets. Et de le faire en incluant ces nouveaux métiers que sont les pair-aidants ou les médiateurs de santé pair… Dans les structures mais aussi hors des parcours de soins.

F-f.fr : Un autre nouveau métier est présenté dans Soyez réhab : celui de “case manager”. De quoi s’agit-il ?

N. R : Le case manager ou référent est le garant de la collaboration avec l’usager. En qualité mais aussi en temporalité. Son autre grande mission consiste à assurer la coordination de l’ensemble des personnes qui gravitent autour de l’usager. Pour s’assurer qu’elles vont toutes dans le même sens.

Ne jamais présumer de ce qui est possible ou pas

Le case manager est un soignant qui a redéfini les frontières de son activité. Il peut être éducateur, infirmier, médiateur de santé pair… Il sait quasiment tout faire mais ne fait pas tout. Surtout, il ne présume jamais de ce qui est possible ou pas.

Chez nous, ce sont les infirmiers qui tiennent ce rôle. Et ils ne suivent pas plus de 15 à 20 personnes pour pouvoir faire du sur-mesure. Mais le modèle n’est pas propre au handicap psychique. Il peut s’appliquer à bien d’autres handicaps.

F-f.fr : Justement, à quel public vous adressez-vous ?

N. R : Quand il y a une maladie chronique, il y a toujours des obstacles. Nous nous adressons donc surtout aux personnes qui restent gênées dans leur vie quotidienne. Quand elles éprouvent des difficultés pour reprendre le travail, se réinsérer… Nous les accompagnons en essayant de nous servir le plus possible de ce qui relève du droit commun.

Protéger de la vie n’est pas protéger de la maladie

En effet, l’ouverture vers l’extérieur est l’un des cinq piliers du rétablissement, avec l’espoir, celui de pouvoir mener une vie épanouie et l’empowerment, qui redonne le pouvoir de décision à la personne. Mais aussi l’identité, car il y a toujours une personne avec son caractère derrière le patient, et les projets.

Dans un des exemples que je donne, Théo, jeune schizophrène fictif, est passionné d’informatique et voudrait se former dans ce domaine. On lui propose un stage “espaces verts” pour tester sa motivation. Ça ne marche pas. Et l’interprétation qui en est faite : il n’est pas prêt pour travailler.

Tout accompagnement devrait être orienté vers le rétablissement personnel, en s’appuyant sur les compétences propres des usagers et en les outillant quand ils rencontrent des difficultés. En leur proposant, par exemple, un bilan neuropsychologique pour leurs problèmes de mémoire. En proposant des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui jouent sur le triptyque pensées/émotions/comportements. Quand ils ne se sentent pas à l’aise avec d’autres gens, quand ils ont peur dans les transports…

F-f.fr : Quelle place accordez-vous aux aidants ?

N. R : On ne peut pas faire de réhabilitation sans inclure les familles. Mais il faut leur expliquer comment ça fonctionne et les aider ensuite. Car ce qui ferme beaucoup de portes et qui s’installe de façon insidieuse, c’est ce que j’appelle l’accomodation. Tout ce que les aidants mettent en place pour faciliter la vie et apaiser la souffrance de la personne. Par empathie, bienveillance et inquiétude, évidemment.

Mais protéger de la vie n’est pas protéger de la maladie. Le case manager a un rôle important là, car il doit toujours avoir un coup d’avance. Voir en quoi ce qui est mis en place pourra se retourner plus tard contre l’usager et nuire à son autonomie.

Aucune maladie ne fait perdre son bon sens

F-f.fr : Comment améliorer la situation ?

N. R : En cessant la stigmatisation et, surtout, en facilitant l’accès aux soins. Je reste persuadé qu’aucune maladie ne fait perdre son bon sens. Pour frapper à la porte d’un service, il faut la plupart du temps être adressé par un psychiatre. On perd beaucoup de gens avec cette organisation infantilisante et paternaliste. Personne ne se soigne pour se soigner. On se soigne pour reprendre le cours de sa vie, tout simplement. Malheureusement, beaucoup de psychiatres pensent encore que faire de la réhabilitation, c’est du gadget.

* Soyez réhab : Guide pratique de réhabilitation psychosociale, Nicolas Rainteau, éditions Elsevier Masson, 25 €.

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