Travailleurs d’Ésat : davantage de droits… mais toujours pas le statut de salariés

Publié le 13 octobre 2023 par Franck Seuret
Les 120 000 travailleurs d'Ésat ne sont pas soumis au Code du travail, contrairement aux salariés. Deux poids, deux mesures.

Un décret de fin 2022 puis, la loi plein emploi, que l’Assemblée nationale vient d’adopter, ont rapproché les droits des travailleurs d’Ésat de ceux des salariés. Mais leur statut reste celui d’usager d’établissement médico-social. Et leur rémunération, égale en moyenne à 60 % du Smic, n’est pas un salaire.

Les travailleurs d’Ésat vont bientôt pouvoir goûter aux joies des manifs, des banderoles et des merguez. La loi plein emploi, adoptée par l’Assemblée nationale le 10 octobre, vient enfin de leur accorder le droit de grève. Un nouvel acquis social. Il s’inscrit dans le cadre du plan de transformation de ces établissements et services d’accompagnement par le travail, lancé par le Gouvernement en 2021.

Un contrat de soutien et d’aide par le travail, pas un contrat de travail

Les 120 000 personnes en situation de handicap travaillant pour l’un des 1 400 Ésat ne sont, en effet, pas signataires d’un contrat de travail soumis au Code du travail, mais d’un contrat de soutien et d’aide par le travail régi par le Code de l’action sociale et des familles (Casf). Ces travailleurs médico-sociaux ne bénéficient donc pas du statut de salarié ni, par conséquent, des droits qui y sont affiliés.

La loi handicap de 2005 avait certes transposé dans le Casf un certain nombre de dispositions du Code du travail. Les mêmes droits aux congés annuels et aux congés de maternité, paternité ou d’adoption, par exemple. Ou bien encore un droit à la formation continue et à la validation des acquis de l’expérience.

Mais certains droits restaient plus restreints. Par exemple, ils ne pouvaient prétendre qu’à une seule journée de congé exceptionnel en cas de décès d’un parent – contre au moins trois pour les salariés. Et d’autres ne leur étaient pas reconnus.

« Ces distorsions avec le Code du travail sont vécues comme des discriminations », soulignaient les Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances, dans un rapport rendu en 2019. Elles recommandaient « de maintenir le statut actuel d’usagers d’Ésat tout en poursuivant la transposition (…) des dispositions protectrices du Code du travail ». Proposition transformée en engagement gouvernemental par le plan de transformation des Ésat.

Repos et rémunération supplémentaire en cas de travail le dimanche

Un décret, paru fin 2022, a posé un premier jalon. Avec l’octroi d’un repos compensateur en plus du repos hebdomadaire et le doublement de la rémunération en cas de travail le dimanche. Ou bien encore, l’alignement sur le droit commun de la durée du congé exceptionnel en cas de décès d’un proche (3 à 7 jours), de mariage (4), de naissance (3)…

Une mutuelle de santé collective

La loi plein emploi poursuit la mise en œuvre de cette convergence des droits des usagers vers ceux des salariés. Avec la reconnaissance, dès janvier 2024, du droit de grève, donc, mais aussi du droit d’adhérer à un syndicat professionnel.

Par ailleurs, le texte impose à l’employeur la prise en charge des frais de transport pour les déplacements entre la résidence habituelle et le lieu de travail. Dans les mêmes conditions que les salariés du secteur privé. Il étend aussi aux Ésat la possibilité – et non l’obligation – de faire bénéficier les usagers de titres-restaurant et de Chèques-Vacances. À partir de juillet 2024.

Surtout, à compter de la même date, ces établissements seront tenus de proposer une mutuelle de santé collective à leurs travailleurs. C’était déjà le cas pour tous les employeurs du secteur privé depuis 2016. Ils participeront au moins à hauteur de 50 % du prix des cotisations. Les usagers pourront demander une dispense d’adhésion s’ils bénéficient déjà d’une complémentaire.

« Ces dispositions créant ces nouveaux droits vont dans le bon sens, se félicite Carole Salères, conseillère nationale emploi d’APF France handicap. Elles rapprochent les droits de travailleurs d’Ésat de ceux des salariés, tout en leur préservant un statut médico-social plus protecteur. » Les premiers, contrairement aux seconds, ne peuvent être licenciés, par exemple.

Des freins à la reconnaissance d’un statut de salarié

Faut-il aller plus loin et leur accorder le statut de salarié ? Dans son rapport, l’Igas pointait les incidences sur le modèle économique, avec un renchérissement du coût du travail. Actuellement, les travailleurs ne touchent en effet, sauf exception, que 55 à 70 % du Smic. Et cette rémunération, que complète l’AAH, n’est juridiquement pas un salaire et n’est donc pas chargé comme tel.

De plus, « la relation entre l’Ésat et ses travailleurs ne se résume pas à une relation de subordination et de mise à disposition d’une force de travail comme dans le salariat classique. Elle est d’abord une relation d’accompagnement et de soutien. »

D’autres modèles à explorer

« Cet argument ne tient pas, car le Code du travail prévoit déjà des cadres juridiques particuliers dans lesquels les salariés bénéficient à la fois des mêmes droits que les autres et de dispositions protectrices », souligne François Couturier, le président de l’AMI, l’Association nationale de défense des malades, invalides et handicapés qui revendique de longue date un statut de salarié pour les travailleurs d’Ésat. Et de citer l’exemple des entreprises d’insertion ou des entreprises adaptées.

« L’abandon du statut d’usager pour celui de salarié serait lourd de conséquences. Mais les entreprises à but d’emploi dans les territoires zéro chômeur de longue durée constituent une piste d’évolution qui pourrait être intéressante, ajoute Carole Salères. Dans le cadre du Code du travail, elles proposent un statut de salarié à temps choisi, à durée indéterminée, prenant en compte les capacités et les limites de la personne et lui proposant des activités fondées sur ses potentiels. »

Emmanuel Macron veut « une pleine rémunération du travail » 

Lors de  la Conférence nationale du handicap, en avril 2023, Emmanuel Macron a ouvert la porte à une évolution possible. « Il n’est pas admissible que ces travailleurs ne soient rémunérés qu’à 60 % du Smic, alors même qu’ils exercent un temps plein, a plaidé le chef de l’État. Nous devons donc travailler pour faire en sorte que ces personnes soient pleinement rémunérées de leur travail. Comme tout un chacun. » De quoi donner, à certains, des envies de grève, de banderoles et de merguez ? 

Des droits collectifs également

Au-delà des droits individuels, le décret de fin 2022 et la loi plein emploi ont renforcé les droits collectifs des usagers d’Ésat. Comme l’élection d’un délégué représentatif des travailleurs auprès de la direction de l’établissement. Ou bien la création d’une instance mixte qualité de vie au travail, composée en nombre égal de représentants des personnes handicapées et des salariés. Son rôle : proposer des solutions pour améliorer le bien-être, la sécurité, l’hygiène et la maîtrise des risques au travail.

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Comment 3 commentaires

Vous dites : « Par ailleurs, le texte impose à l’employeur la prise en charge des frais de transport pour les déplacements entre la résidence habituelle et le lieu de travail. Dans les mêmes conditions que les salariés du secteur privé. Il étend aussi aux Ésat la possibilité – et non l’obligation – de faire bénéficier les usagers de titres-restaurant et de Chèques-Vacances. À partir de juillet 2024. » Je crois rêver… et je suis étonnée.

Pour l’instant et en ce qui concerne le cas de la personne handicapée travailleuse d’ESAT à temps plein dont je suis la tutrice, un forfait autobus est bel et bien déduit de son salaire brut (et même réintégré dans son net social !). Il en est de même des frais de repas de midi pris forcément sur place (repas dont la teneur et la qualité diététiques sont parfois fort discutables…)
Permettez-moi donc d’avoir de sérieux doutes sur la prétendue volonté du gouvernement de vouloir changer les choses…

J’en veux pour exemple le montant net social : parlons-en ! J’espère que vous aborderez un jour ce thème ici…
Le salaire net (celui que ma pupille déclarait auparavant) est, ce mois-ci (mars), de 693 € pour 151 h, le service comptable de l’ESAT y réintègre 49€ de forfait autobus et 82 € de frais de repas de midi payés par la personne, ce qui donne un montant net social de 824 €. L’écart entre les salaire net et le montant net social étant relativement important, notamment si on le considère en pourcentage, je suis très étonnée, car la personne, qui, chacun le sait, est un travailleur très modeste, va perdre une bonne partie de sa prime pour l’emploi. S’agit-il d’une erreur du service comptable de l’ESAT ? S’agit-il d’une volonté de l’État de prendre aux pauvres pour donner aux moins pauvres ? Je précise que la personne n’a pas la possibilité de prendre son déjeuner ailleurs qu’à l’ESAT et qu’il ne s’agit pas d’avantages en nature mais bien de frais payés et prélevés sur son salaire brut.
Le salaire étant déjà très modeste, je trouve étrange que l’on réintègre dans le montant net social des sommes payées obligatoirement par l’intéressé et déjà déduites de son salaire brut.
Pouvez-vous consacrer quelques lignes à ce sujet ?

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