[Rendez-vous lecture du vendredi] Mes fragiles

Publié le 26 mai 2023 par Claudine Colozzi
« Le souvenir, c’est la présence invisible », Victor Hugo.

En l’espace de quelques mois, le journaliste et écrivain Jérôme Garcin a perdu sa mère et son frère Laurent. Ces deuils successifs ont donné naissance à Mes fragiles, un roman tendre et pudique.

« J’avais un frère fragile. Maintenant qu’il est mort, il me paraît plus fort, et je me sens plus faible. En vérité, je ne sais plus qui, de nous deux, était le plus fragile », confie-t-il en guise d’incipit. Si Jérôme Garcin évoque le départ de sa mère avec une infinie délicatesse, il se concentre avec encore plus de prévenance sur ce cadet décédé du Covid, à 55 ans, en mars 2021. Sans doute en raison de ses devoirs à l’égard de ce frère porteur d’une maladie génétique rare, le syndrome de l’X fragile, première cause de retard mental héréditaire. Car si Laurent souffrait des conséquences de cette anomalie chromosomique, l’auteur révèle qu’il est lui-même porteur sain et qu’il l’a transmis à sa fille.

Deuil et secret de famille

« J’ai beau me répéter que je n’y suis pour rien, je me sens responsable d’avoir propagé ce dont j’ignorais avoir hérité. » Poids de la culpabilité, tentation de s’alléger de ce pesant secret de famille par la mise à distance de l’écriture. Dans son cheminement littéraire du deuil, il évoque aussi le soulagement teinté de tristesse de ne pas avoir eu à assumer la charge de l’aidant à l’égard de ce frère différent et un peu marginal.

« J’imagine, s’il en avait réchappé et que j’avais eu à exercer mon rôle de tuteur, ce qu’eût été notre existence commune. Il aurait été ma préoccupation quotidienne. J’aurais craint sans cesse pour sa santé mentale et physique, tellement menacée. (…) Combien de temps aurais-je tenu ? Aurais-je eu ce courage-là, étais-je seulement capable de cette abnégation ? Peut-être sa fragilité aurait-elle eu raison de la mienne. »

Pudeur et émotion

Mais Laurent l’a « épargné », « affran­chi » de cette lourde responsabilité d’aîné. Alors pour honorer sa dette et conjurer le chagrin de devoir laisser partir ceux qu’il aime, Jérôme Garcin égrène les souvenirs dans un livre pudique et émouvant, douloureusement apaisé. Il parlera à toutes celles et ceux qui ont perdu leurs fragiles, mais qui ne se résoudront jamais à croire à leur disparition.

Mes fragiles, Jérôme Garcin, éd. Gallimard, 112 p., 14 €.

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Cette chronique est parue dans le magazine Faire Face de mai-juin 2023. Droits, démarches administratives, santé, aides techniques, vie sociale, du côté des livres… : tous les deux mois, le magazine vous apporte informations pratiques, conseils, contacts et astuces indispensables à votre vie quotidienne.

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